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François-Augustin Paradis de Moncrif
LES CHATS
Illustrations : Claude-Augustin Seulliet
2025 (1727)
bibliothèque numérique romande
Table des matières
PREMIÈRE LETTRE À MADAME LA M. DE B***
FRAGMENT DE L’HISTOIRE DES DIEUX DE L’INDE
Le cœur ne vous a-t-il point battu toute cette soirée, Madame ? On a parlé des Chats dans une Maison d’où je sors, on s’est déchaîné contre eux, et vous savez combien cette injustice-là coûte à er. Je ne vous rapporterai point tous les ridicules et tous les vices dont les Chats ont été accusés.[1]
Je serais bien fâché de les avoir redits[2].
J’ai tenté de défendre leur cause, il me semble que j’ai parlé raison ; mais dans les disputes, est-ce avec cela qu’on persuade ? Il aurait fallu de l’esprit : Où étiez-vous, Madame ? J’ai soutenu d’abord la sortie qu’on m’a faite, avec ce sang froid, et cette modération qu’on doit garder en exposant les opinions les plus raisonnables, quand elles ne sont pas encore bien établies dans les esprits ; mais il est survenu un incident qui m’a absolument déconcerté : un Chat a paru, et d’abord une de mes adversaires a eu la présence d’esprit de s’évanouir ; on s’est mis en colère contre moi ; on m’a déclaré que tous les raisonnements de la philosophie ne pourraient rien contre ce qui venait de se er ; que les Chats n’ont été, ne sont et ne seront jamais que des animaux dangereux, insociables. Ce qui m’a pénétré de douleur est que la plupart de ces conjurés sont gens de beaucoup d’esprit.
Il faut que je vous confie un grand projet, Madame. Parmi tant de faits mémorables qu’on a cherché à éclaircir et à mettre en ordre, on n’a point encore songé à faire l’histoire des Chats ; n’en êtes-vous pas bien étonnée ? Homère n’avait pas trouvé indigne de sa Muse de décrire la guerre des rats et des grenouilles. Un des chapitres de Lucien, traité avec le plus d’agrément, est à la louange de la mouche ; et les ânes ont eu la satisfaction de voir faire leur éloge[3]. Comment les Chats ont-ils été négligés ? Je n’en serais pas surpris s’il fallait pour composer un Ouvrage à leur gloire avoir recours à l’imagination ; mais dès qu’on porte ses regards sur les Chats des siècles és, quelle foule d’évènements plus intéressants les uns que les autres ne découvre-t-on pas ? Avant que d’en exposer le tableau, on paraîtrait bien ridicule, si on osait avancer qu’il y a eu tel Chat dont la vie peut-être a été plus brillante et plus traversée que celle d’Alcibiade ou d’Hélène. Cependant si l’un et l’autre ont allumé des guerres fameuses ? Si Hélène a vu des Autels élevés à sa beauté ? De tels avantages ne les mettent point au-dessus d’un grand nombre de Chats et de Chattes qui tiennent un aussi beau rang au Temple de Mémoire.
L’Histoire des Chats devait donc naturellement réveiller l’émulation des Écrivains les plus illustres ? Mais enfin puisque cette Histoire n’a point été faite, la médiocrité des talents ne doit pas étouffer le zèle. J’oserai tenter cet Ouvrage, et je me croirai à portée d’y réussir, si vous me promettez d’aider à mon entreprise. Nous commencerons par chercher les sources de cette fausse prévention qu’on a assez communément ici contre les Chats. Nous exposerons de bonne foi les lumières qu’une longue habitude de leur commerce, et la réflexion nous ont acquises. Nous rapporterons les formes différentes que les intérêts des Chats ont pris successivement dans les Nations, en gardant tous les ménagements convenables, pour ne point révolter les personnes qui ont par pur sentiment, de l’antipathie pour eux. Nous nous souviendrons toujours qu’il y a de certaines répugnances naturelles, lesquelles selon le Père Malbranche[5], l’ouvrage des contes d’une nourrice.
La crainte est aux enfants la première leçon, a dit M. de La Fontaine ; et d’ailleurs il est bien aisé de reconnaître que les antipathies acquises ou naturelles peuvent tomber sur les objets qui semblent le moins devoir se l’attirer ; l’un ne saurait voir des oiseaux sans frémir : tel autre fuit quand il aperçoit du liège. Germanicus ne pouvait souffrir le chant ni l’aspect d’un Coq[6]. Les Chats par ces sortes de haines ne sont donc point caractérisés dangereux ni méchants ? On a ouï dire dès le berceau que les Chats sont d’un naturel traître ; qu’ils étouffent les enfants ; qu’ils sont sorciers peut-être. La raison qui survient a beau se récrier contre ces calomnies, l’illusion a parlé la première, elle persuadera longtemps encore après qu’elle aura été reconnue pour ce qu’elle est ; et si les Chats obtiennent de n’être plus sorciers, ils resteront craints, du moins comme s’ils l’avaient été effectivement.
M. de Fontenelle avoue qu’il a été élevé à croire que la veille de la saint Jean, il ne restait pas un seul Chat dans les villes, parce qu’ils se rendaient ce jour-là à un sabbat général. Quelle gloire pour eux, Madame, et quelle satisfaction pour nous, de songer qu’un des premiers pas de M. de Fontenelle dans le chemin de la Philosophie, l’ait conduit à se défaire d’une fausse prévention contre les Chats, et à les chérir.
Notre apologie ne regardera donc, ainsi que nous venons de nous le proposer, que les personnes qui, par indolence, suivent un ancien préjugé, ou celles qui, par mignonnerie, affectent la frayeur des Chats[7].
Vous savez, Madame, quel rôle nos chers amis ont joué dans l’Antiquité. Si les respects des hommes, quoique ridiculement fondés, peuvent faire quelque honneur à ce qui en est l’objet, il n’y a aucun des animaux qui puisse rapporter des titres plus éclatants que ceux de l’espèce chatte. Il ne sera peut-être pas prudent de la peindre d’abord avec tant d’avantage ; mais pour mettre quelque ordre dans notre ouvrage, nous ne pouvons pas nous dispenser de commencer par faire envisager les Chats divinisés, comme ils l’ont été en Égypte, et honorés par des statues, et par un culte mystérieux transmis successivement aux Grecs[10]. Il est vrai qu’on n’a point l’intelligence de ces caractères ; mais nous ne laisserions pas de les expliquer en rassemblant différentes circonstances de la Mythologie des Égyptiens.
Ces peuples avaient pour tradition que les Dieux poursuivis par Typhon[15], (car il ne faudra pas manquer de le citer,) les Égyptiens n’avaient point imaginé au hasard la forme d’animal que chaque Divinité était censée avoir prise. Mercure, par exemple, n’avait préféré la forme du Chien, que pour marquer sa fidélité à accomplir les ordres de son Maître.
En suivant donc l’opinion de Plutarque, ne serons-nous pas très raisonnables de trouver des rapports entre Diane et sa métamorphose, et de conclure que les Égyptiens ne l’avaient imaginée ainsi travestie, que parce qu’ils connaissaient dans les chattes des qualités convenables à la prud’homie de la Déesse[16].
Il faudra ensuite expliquer cette autre figure antique ; elle est ornée de symboles qui mettront de bien mauvaise humeur ceux qui ont résolu de ne point estimer les Chats. Le Dieu Chat a devant lui, comme vous voyez, Madame, un Sistre[18], nous trouverons tout de suite occasion d’établir que la Musique était ise dans leurs festins ; et cela sans découvrir encore combien cette musique a de rapports avec nos Chats.
Plutarque, dirons-nous, fait mention d’une chanson célèbre qui se chantait dans tous les soupers de l’Égypte ; cette chanson était à la louange du jeune Maneros dont elle portait le nom. Les Égyptiens le croyaient inventeur de la musique ; il était fils du Roi Malcander, et de la Reine Astarté, qui accueillirent Isis, lorsque, cherchant le corps de son époux[20], où régnait alors ce Roi, père du jeune Maneros.
Une autre circonstance qu’il sera bien essentiel de faire remarquer, est que l’extrémité supérieure du Sistre Égyptien était ordinairement enrichie d’une belle sculpture, qui représentait une Chatte à face humaine et qu’il y avait quelquefois des Chats semés en différents endroits de cet instrument.
Mais nous avons un autre monument de l’Antiquité plus imposant encore. Le dieu Chat est représenté avec sa tête naturelle sur le corps d’un homme ; remarquez bien, Madame, tous ses attributs. Il tient ce Sistre même, mais avec une dextérité, et avec un air d’habitude qui frappe, et qui découvre qu’il sait faire usage de cet instrument. Eh ! pourquoi n’y aurait-il pas de vrais rapports entre les instruments de musique et les Chats ? tandis que les Dauphins depuis tant de siècles[23].
Mais voici bien une autre découverte qu’il faut absolument manifester. Les Chats sont très avantageusement organisés pour la Musique ; ils sont capables de donner diverses modulations à leurs voix, et dans les expressions des différentes ions qui les occupent, ils se servent de divers tons.
Ceux qui s’élèveront contre cette proposition, seront bien étonnés d’apprendre que nous nous serons servi expressément des termes de deux hommes célébrés par leur science[24].
Les Chats mis en possession d’une belle et grande voix, nous demanderons à leurs adversaires ce qu’ils pensent de cet assemblage du Sistre et du Gobelet trouvé tant de fois entre les pattes des Chats. Il me semble, Madame, qu’ils avoueront de bonne foi, (car il y a de certaines vérités qui percent à travers la prévention) ils conviendront, dis-je, que ce Sistre, symbole de la Musique, et ce gobelet qui réveille nécessairement l’idée des festins, découvrent évidemment que chez les Égyptiens les Chats étaient is dans les festins, et qu’ils en faisaient les délices par le charme de leur voix.
Mais supposé qu’ils ne saisissent pas d’abord le simple de cette proposition, et que semblables à ces esprits forts de la fable de Monsieur de la Mothe[26], que ce chant, dis-je, n’a pu être harmonieux, ni même able, cela nous paraîtra d’une grande déraison ; mais nous le dissimulerons pour ne point paraître prévenus. Nous nous contenterons d’abord de répondre que ce qui leur semble un miaulement dans les Chats d’aujourd’hui, ne prouve rien contre les Chats de l’Antiquité, les arts étant sujets à de grandes révolutions. Nous ajouterons, avec tout le ménagement possible, que ces dissonances dont ils se plaignent, ne sont peut-être qu’un manque de savoir et de goût de leur part. Ceci pourra avoir besoin de quelque éclaircissement, et c’est alors que la vérité paraîtra dans son plus beau jour.
Notre Musique à nous autres modernes, dirons-nous, est bornée à une certaine division de sons que nous appelons Tons, ou Demi-tons ; et nous sommes assez bornés nous-mêmes, pour supposer que cette même division comprend tout ce qui peut être appelé Musique ; de-là nous avons l’injustice de nommer mugissement, miaulement, hennissement, des sons dont les intervalles, et les relations irables peut-être dans leur genre, nous échappent, parce qu’ils ent les bornes dans lesquelles nous nous sommes restreints[27]. Les Égyptiens étaient plus éclairés sans doute ; ils avaient étudié vraisemblablement la Musique des animaux ; ils savaient qu’un son n’est ni juste, ni faux en soi, et que presque toujours il ne paraît l’un ou l’autre, que par l’habitude que nous avons de juger que tel assemblage de sons est une dissonance ou un accord ; ils sentaient, par exemple, si les Chats dans leur musique aient avec la même proportion que nous faisons d’un ton à un autre, ou s’ils décomposaient ce ton même, et en frappaient les intervalles que nous appelons Commas, ce qui aurait mis une différence prodigieuse entre leur Musique et la nôtre ; ils discernaient dans un chœur de Matous, ou dans un récit, la modulation simple ou plus détournée, la légèreté des ages, la douceur du son, ou l’aigu qui peut-être en faisait l’agrément. De-là ce qui ne nous semble qu’un bruit confus, un charivari, n’est que l’effet de notre ignorance, un manque de délicatesse dans nos organes, de justesse et de discernement.
La Musique des peuples de l’Asie nous paraît au moins ridicule. De leur côté ils ne trouvent pas le sens commun dans la nôtre. Nous croyons réciproquement n’entendre que miauler ; ainsi chaque Nation à cet égard, est pour ainsi dire le Chat de l’autre, et des deux parts peut-être. Conduits par l’ignorance, on ne porte que de faux jugements.
À ce raisonnement qui, simple comme il est, leur fera sans doute grande impression, nous ajouterons une réflexion qui achèvera de les convaincre. Les Égyptiens mettaient tout à profit pour sentir le bonheur de l’existence. Les squelettes apportés pendant les festins, avertissaient de profiter des moments de la vie. Bois, disait-on, et t’éjouis. Demain peut-être tu seras mort[28] ; mais ce spectacle, quelqu’accoutumés qu’y fussent les Égyptiens, ni cette exhortation, ne devaient pas par la première impression donner des idées agréables ; il n’est de précepte pour inspirer le plaisir, que les images du plaisir même. Les Chansons, les Sistres, les Chats venaient donc au secours ; ils embellissaient la sombre vérité qui venait d’être annoncée. De-là sans doute, la gaieté s’emparait insensiblement du festin. Dans nos chansons, où ce même fond se retrouve assez communément, il est du moins présenté par des images qui paraissent avoir plus de relation avec les sentiments qu’on veut inspirer.
Pardonnez-moi, Madame, la petite vanité de m’être ici cité pour exemple. Cette chanson n’est que la même idée des Égyptiens rendue avec des couleurs plus douces, et qui sont à notre égard les Sistres et les Chats qui égayaient le tableau des squelettes.
Voilà les idées qui se sont réveillées en moi dans les premiers moments de mon dépit. Ma lettre doit se sentir de mon trouble : Ayez la bonté d’y mettre tout l’agrément qui y manque ; je vais faire des recherches sérieuses, afin de recueillir les Fastes des Chats avec l’ordre et l’exactitude convenable à une matière aussi intéressante et aussi ignorée du vulgaire.
J’ai l’honneur d’être, etc.
Quoiqu’il fût fort tard, Madame, quand j’ai fermé hier au soir ma lettre, vous concevez bien qu’il m’a été impossible de dormir. J’ai é la nuit à lire tout ce que j’ai de livres de l’Antiquité ; nous pouvons actuellement nous armer de belles citations latines et même grecques, car il ne faudra point ménager nos adversaires qui vont mettre la gloire des Chats en évidence. Il me semble qu’il est plus aisé d’avoir raison en grec qu’en français.
Comme nous avons suffisamment prouvé que les Chats avaient des Autels en Égypte, nous pouvons négliger de décrire un nombre de monuments antiques qui ne laissent pas lieu d’en douter. Ne citons que pour être exacts seulement toutes les images de cette Divinité trouvées dans la table qui comprend les mystères d’Isis et faisons remarquer que le Dieu Chat appelé Elurus, est représenté quelquefois avec des traits humains ; mystère dont un savant Commentateur assure qu’il résulte qu’une Chatte est extrêmement comparable à la Lune, avec laquelle ce bestial, dit-il, a une grande convenance et conformité[29].
Mais cet assemblage de traits humains dans le Dieu Chat a une cause métaphysique, qu’il me paraît encore plus important d’éclaircir. Je suis sûr, Madame, qu’elle vous a frappé d’abord.
Vous savez que la vanité des hommes les fait se rapprocher, autant qu’il leur est possible, de ce qu’ils ont élevé au-dessus d’eux. Dès que les Égyptiens eurent dressé des autels à Elurus, ils lui substituèrent insensiblement quelques traits de leur ressemblance : Examinez, Madame, ce monument ; la figure a le corps d’un homme, et la tête d’un Chat ; elle est ornée de plusieurs attributs ordinaires aux Figures Égyptiennes ; mais le plus digne d’iration est une couronne de lumière que jette la tête du dieu. Si ce ne sont pas des rayons, remarque le Père Montfaucon[30], ils en approchent ; et si ce sont des rayons, ajoute-t-il, cela conviendrait à ce Dieu, l’un des plus honorés de l’Égypte.
La réflexion que nous venons de faire sur les effets de l’amour-propre, nous conduit à présumer que les Dames Égyptiennes sentirent à leur tour l’avantage de ressembler à la Déesse Chatte. Ce furent elles sans doute qui lui prêtèrent quelques traits de l’humanité, dans les statues qu’elles lui élevèrent.
Qu’aura-t-on à nous répondre, quand nous découvrirons le portrait de la Déesse Chatte représentée en belle femme, parée d’un superbe Panache, à la manière des Figures Égyptiennes, et tenant une espèce de sceptre[32]. De cet assemblage de grâces, n’est-il pas tout simple de croire que la Déesse Chatte était regardée en Égypte, comme la Mère des Amours ? Toutes les beautés de Memphis se piquaient, sans doute, de lui ressembler ; et les poètes qui faisaient des vers à leurs louanges, avaient l’art de leur trouver les yeux aussi ronds et aussi luisants, que ceux de la Déesse. Vous concevez bien quel serait le dépit des femmes qui ont le bon air de craindre les Chats, quand on leur prouverait qu’il ne pourrait leur arriver de succès si flatteur, que d’être autant aimées ; autant préconisées qu’une Chatte de l’Égypte.
Ce ne sera point une idée hasardée, que d’appeler la Déesse Chatte la Mère des Amours[34], serment le plus solennel parmi eux, et le plus sacré.
Éclaircissons à présent, c’est-à-dire dissertons sur ce que pouvait être le culte rendu au Dieu Chat.
Chaque divinité en Égypte avait plusieurs Prêtres, dont l’un avait la supériorité[38].
Il est à présumer, et c’est ce me semble une remarque très prudente à faire, que ces Prêtres dans leurs cérémonies se conformaient autant qu’il leur était possible, au Génie et aux attributs de la Divinité à laquelle ils étaient dévoués, et qu’ainsi l’enjouement, la souplesse du corps, et les attitudes Pantomimes devaient faire la principale partie des mystères du Dieu Chat. Si le Signor Tomasini qui remplit avec tant de grâces le rôle d’Arlequin dans notre Comédie Italienne, avait vécu du temps des anciens Égyptiens, les dévots du Dieu Chat l’auraient regardé comme l’image de la Divinité. Étrange contraste de l’esprit humain ! Ce qui fait aujourd’hui le comique de la scène, eût formé alors toute la dignité du Temple.
Mais les Chats regardés comme Divinités prouvent seulement la sottise des hommes, et ne sont pas plus illustrés à cet égard que les Cigognes de l’Égypte, les Rats, et le Dieu Pet[40].
Laissons une religion si extravagante[43] ; et on le transportait à Bubaste pour y être inhumé dans une maison sacrée.
Le traitement honorable qui leur était fait pendant leur vie découvre encore mieux de quel prix ils étaient dans la société. Les Égyptiens les parfumaient et les faisaient coucher dans des lits somptueux. Ils employaient tous les secrets de la médecine à traiter et conserver ceux qui étaient nés d’un tempérament délicat ; ils donnaient de bonne heure à chaque Chatte un époux convenable, observant avec attention les rapports de goût, d’humeur et de figure[44].
Quand il arrivait un incendie, les Chats jouaient bien un autre rôle. Ils entraient dans une fureur divine ; les Égyptiens accoutumés à cette merveille, négligeaient l’incendie, les environnaient ; quelquefois ces Chats tutélaires s’échappaient, et sautant par-dessus l’assemblée qui les entourait, allaient se précipiter dans les flammes ; et quand ce malheur arrivait, les Égyptiens menaient un deuil solennel[45].
Ce deuil était si marqué et si sincère, que les femmes en oubliaient jusqu’à leur beauté, et pour éviter la honte de paraître encore aimables dans le cours d’une tristesse si raisonnable, elles se barbouillaient le visage, et couraient par la Ville échevelées, et dans un état de désolation ; elles étaient ceintes par le milieu du corps ; elles se frappaient la poitrine qu’elles laissaient découverte ; leurs plus proches parents marchaient à leur suite à demi nus comme elles, et abandonnées à ce délire qu’entraînent toujours les grandes douleurs[46].
Qui sait si l’exemple de cette fable ne fut pas le ressort secret qui détermina l’action généreuse de Quintus Curtius ? Il y a toute apparence que son dévouement pour le salut de la patrie, en se jetant dans le gouffre, ne fut qu’une imitation de l’héroïsme des Chats de l’Égypte.
Quand un Chat mourait de mort naturelle, toutes les personnes de sa connaissance tombaient dans la consternation ; elles portaient les marques de leur douleur jusqu’à se raser les sourcils[50] ? Quels soins aussi ne se donnait-on pas pour conserver le Chat d’une maison ? Quelle prévenance sur tous ses goûts ? Quelle attention à lui faire er une vie agréable ? On a vu un Chat désobligé faire avorter les projets politiques, et semer le désordre et la rébellion. L’Égypte, sous l’un des Ptolémées, fut le théâtre de cette grande aventure ; le nom Romain y était alors également craint et honoré. Les Égyptiens accueillaient avec soumission tout ce qui venait d’Italie. Il arriva qu’un Romain fit quelque insulte à un Chat, ce fut même sans nul dessein ; cependant tout le peuple s’arma pour en tirer vengeance : ni la présence des magistrats, ni les menaces de Ptolémée, ne purent arrêter sa fureur ; le coupable fut massacré ; ainsi la puissance romaine cessa d’en imposer, dès qu’elle eut pour rivale la cause d’un Chat outragé.
Ce respect des animaux influait sur toutes les actions des Égyptiens. Ceux qui habitaient les villes vouaient leurs enfants à ces animaux sacrés. Vous jugez bien, Madame, que ce ne pouvait être qu’aux Chats que les gens du monde étaient voués. Voici quelle était cette cérémonie. On rasait la tête de l’enfant entièrement ou à moitié, ou seulement la troisième partie ; ensuite les cheveux étaient pesés dans une balance, avec une quantité d’or ou d’argent proportionnée ; et quand la pesanteur du métal l’emportait, cette offrande était remise à la personne qui veillait sur le Chat auquel l’enfant venait d’être voué ; elle en achetait du poisson, et du pain qu’elle mêlait avec du lait pour la nourriture de l’animal respecté[51].
Cette fonction était extrêmement enviée ; on en étalait les marques avec pompe ; on portait à découvert le portrait du Chat auquel on était voué : cet appareil attirait le respect des citoyens toujours prosternés devant ceux à qui la garde des animaux sacrés était confiée[53].
Cet amour des Chats chez les Égyptiens n’a jamais paru avec plus de confiance et de grandeur d’âme que dans la guerre qu’ils eurent à soutenir contre Cambyse dans la quatrième année de son règne. Ils étaient alors gouvernés par Pfammenite qui venait de succéder à Amasis.
L’ambitieux Cambyse ne pouvant s’ouvrir l’entrée de l’Égypte qu’en se rendant maître de la ville de Péluse[55].
Voici jusques à présent toutes mes découvertes, Madame, et comme je ne me fie pas à mes seules lumières, je vais consulter tous les Savants de l’Europe. Vous jugez bien que je n’épargnerai ni le temps, ni le travail. Les ouvrages qui ne sont qu’un jeu de l’esprit ne demandent que les moments de notre loisir ; mais on se sent emporté par une vraie émulation, quand on a entrepris quelque point essentiel de l’histoire.
J’ai l’honneur d’être, etc.
Notre ouvrage s’avance, Madame ; bien des personnes sensées en ont senti l’utilité, et m’ont secouru de leurs lumières ; sérieusement je crains que la Dame d’avant-hier ne se soit évanouie de bonne foi. Ce n’est presque plus le bon air, que de jouer de certaines frayeurs ; ainsi bientôt on ne songera pas à avoir peur des Chats. Les femmes n’adoptent guère de ridicules, que ceux qui portent avec eux un caractère d’agrément ; leur vanité est à cet égard bien plus sensée que la nôtre.
Mais serait-ce assez pour nous que de voir l’antipathie pour les Chats s’effacer ? Ne faudrait-il pas que tous les yeux fussent ouverts sur leur mérite ?
Ne reviendrez-vous point, heureux siècle d’Astrée ?
Jours de paix, de plaisirs, ivresse du bonheur,
Où l’amour une fois jurée,
Pour jamais régnait dans un cœur ;
Où l’Épouse tendre et chérie,
Ne connaissait de sort plus doux,
Que de er toute sa vie
Entre son Chat et son Époux[56].
Mais ne nous arrêtons point, Madame, à des idées trop flatteuses ; ons à bien des vérités historiques que nous avons encore à faire valoir.
Les Arabes adoraient un Chat d’or[58].
Ce merveilleux événement n’est, comme vous le voyez, Madame, que médiocrement développé par l’Auteur Arabe ; il n’explique point par quel motif Noé se détermina à souffleter le Lion par préférence, mais nous retrouvons heureusement cette même Fable rendue avec plus de clarté dans une des Lettres Persanes : voici comment elle est contée. Il était sorti du nez du Cochon un Rat qui allait rongeant tout ce qui se trouvait devant lui, ce qui devint si inable à Noé, qu’il crut qu’il était à propos de consulter Dieu encore ; il lui ordonna de donner au Lion un grand coup sur le front, qui éternua aussitôt, et fit sortir de son nez un Chat[59].
Les circonstances de cette Fable heureusement restituées par l’Auteur des Lettres Persanes, prouvent bien avec quel choix et quelle finesse il sent les traits propres à jeter de vrais agréments dans un ouvrage ; et ce fragment de l’histoire des Chats n’a pas peu contribué sans doute au succès d’un livre aussi généralement applaudi. Et les Perses, Madame, (on sait que c’était un peuple éclairé ;) croit-on qu’ils n’avaient pas une haute estime des Chats ? Il n’y a qu’à lire ce qui se a sous le règne d’un de leurs plus illustres Rois. Il s’appelait Hormus : Tranquille dans le sein de la paix, ce Monarque apprit qu’une armée de trois cent mille hommes commandée par le Prince Schabé Schah, son parent, faisait une invasion dans son Empire ; il assembla ses Ministres, et tandis qu’il délibérait sur une conjoncture si pressante, un vieillard vénérable se présenta, et parla ainsi : Roi, l’Armée du Rebelle peut être détruite en un seul jour, et vous avez dans vos États le Héros auquel cette victoire est réservée. Vous le connaîtrez entre vos Capitaines par une distinction aussi rare qu’avantageuse ; mais pour ne vous point paraître suspect dans ce que j’avance, il faut que je vous rappelle les services que j’ai rendu au Roi Nouchirvan, votre illustre père. Ce fut à moi que ce Monarque confia le soin d’aller demander de sa part au Khacan des Turcs une de ses filles en mariage ; je fus introduit dans le Palais des Princesses, elles me parurent toutes extrêmement belles, et j’aurais été bien embarrassé à me déterminer, si j’avais cru que la beauté uniquement dût fixer mon choix ; mais je voulais que ce fussent les qualités du cœur et de l’esprit qui emportassent la balance. Je demandai au Khacan la liberté de demeurer quelque temps à la Cour, afin de pouvoir connaître le caractère des Princesses ses filles. Elles marquaient toutes un égal empressement de devenir Épouse du Roi de Perse, et j’examinais secrètement les différents ressorts qu’elles faisaient jouer, pour m’engager chacune à leur donner la préférence ; une seule, (et c’est elle qui est devenue la Reine votre mère) une seule, dis-je, ne mit en usage que la même conduite qu’elle avait toujours gardée ; c’était une grande douceur dans le caractère, un goût toujours le même pour ses devoirs, un certain agrément dans l’esprit, qui la faisait aimer de tout ce qui approchait d’elle. Enfin pour fixer mon choix, elle ne voulut paraître que ce qu’elle était, et je crus reconnaître à cette marque le vrai caractère de la vertu. Je la demandai au nom de mon Roi ; et l’Empereur son père, suivant l’usage de ses États, avant le départ de la Princesse, fit faire son horoscope par les plus habiles Astrologues. Ils s’accordèrent tous en une circonstance ; ils prédirent qu’elle aurait un fils qui surerait en renommée tous ses Ancêtres ; que ce Prince serait attaqué par un des Rois du Turquestan, sur lequel il remporterait une victoire entière, s’il était assez heureux de trouver un de ses sujets qui eût la physionomie d’un Chat sauvage. Ce récit achevé, le vieillard qui avait la science des Sages, disparut comme un éclair.
Le Roi ne songea plus qu’à chercher le héros qui devait sauver ses États. Le vieillard n’avait point déclaré son nom, ni donné aucune lumière sur le séjour qu’il habitait ; mais la ressemblance avantageuse du Chat, le fit bientôt reconnaître dans la personne de Baharam, surnommé Kounin. Il était de la race des Princes de Rei, et gouvernait pour lors la Province d’Adherbigan[62] qui régnait alors en Égypte, et qui n’avait qu’une poignée de soldats, attaqua dans cette conjoncture les troupes de Sennachérib, qui se trouvant sans armes, n’eurent d’autres ressources, que la fuite ou la captivité. Que le roi des Assyriens eût été secondé par quelque Chat, il faisait la conquête de l’Égypte.
Si tous les Historiens célèbres ne se sont pas attachés également à rapporter les évènements merveilleux occasionnés par les Chats, on découvre du moins que tous avaient pour eux en général une estime marquée. Lucien dans son Dialogue de l’Assemblée des Dieux, en examinant les animaux honorés en Égypte, tourne en ridicule les Singes, les Cynocéphales, les Sphinx ; mais il garde sur les Chats un silence respectueux : cette retenue dans un Philosophe aussi cynique, ne peut être regardée que comme un véritable éloge ; et ce n’est pas la seule occasion où les Chats aient été ménagés avec beaucoup d’égards. On empêchait avec soin chez les Romains que les Chiens n’entrassent jamais dans les Temples d’Hercule ; le sacrifice aurait été interrompu, et les mystères profanés[67].
Après cet exemple, nous rougirions comme vous le jugez bien, Madame, d’appuyer plus longtemps sur l’agrément de la Musique des Chats. Ceux qui n’y sont pas sensibles n’ont qu’à s’en prendre au peu de soin qu’ils ont eu de se former le goût.
Hermès Trimégiste découvrit le premier en Égypte que les trois parties de la Musique avaient une grande relation avec les saisons de l’année. Que la haute ressemblait à l’Été, la basse à l’Hiver et la moyenne au Printemps[69], s’est rendu plus recommandable encore par l’étude qu’il a fait du Langage des Chats ; étude satisfaisante et qui lui a si heureusement réussi, qu’il entend exactement ce qu’expriment les différentes inflexions de leur voix, et ce qui est d’irable, est qu’il ne faut pour acquérir cette intelligence, que l’entendre une fois réciter un Dialogue qu’il a composé, où deux amants s’entretiennent. Voici, Madame, cette scène charmante ; elle perdra beaucoup à n’être que lue, quoiqu’elle soit écrite avec élégance et précision ; la façon de la déclamer comme lui d’après les Chats, y donnant tout le caractère de vérité. La scène est au coin du feu d’une Cuisine.
LA CHATTE
voyant tourner la broche, et se débarbouillant.
Ça est bon.
LE MATOU
apercevant la Chatte, et s’approchant avec un air timide.
Ne fait-on rien céans ?
LA CHATTE
ne lui jetant qu’un demi regard.
Ohn.
LE MATOU
d’un ton ionné.
Ne fait-on rien céans ?
LA CHATTE
d’un ton de pudeur.
Oh que nenni.
LE MATOU
piqué.
Je m’en revas donc.
LA CHATTE
se radoucissant.
Nenni.
LE MATOU
affectant de s’éloigner.
Je m’en revas donc.
LA CHATTE
d’un air honteux. Plus haut.
Montez là-haut. Montez là-haut.
ENSEMBLE
courant sur l’escalier.
Montons là-haut. Montons là-haut.
Les deux Amants arrivent bientôt dans la gouttière ; et la scène finit par des clameurs amoureuses, entremêlées de ces expressions naïves employées dans nos anciens Romans et que la délicatesse du siècle a banni des ouvrages[70].
J’ai l’honneur d’être, etc.
Alexandre, et les Césars[71] ont vu les Villes s’empresser de porter leurs noms ; les Chattes jouissent de la même gloire.
Près de Paphos qui, sans égard pour la Poésie, a changé son nom en celui de Bafa, est un cap célèbre à la pointe de l’Îles de Chypre ; on l’appelle le Cap des Chattes, et c’est avec justice que leur mémoire y est extrêmement honorée. On y voit les ruines d’un Monastère dont les religieux entretenaient autrefois quantité de Chats pour faire la guerre aux Serpents qui désolaient la contrée[73] : les changements de domination entraînent toujours de grands désastres.
L’Orient n’est semé que de la renommée des Chats ; ils sont traités à Constantinople avec les mêmes égards que les enfants d’une maison. On ne voit que des fondations faites par les gens de la plus haute considération, pour l’entretien des Chats qui veulent vivre dans l’indépendance. Il est des maisons ouvertes où ils sont reçus avec politesse, on leur y fait une chère délicate, ils peuvent y er les nuits ; et si ces habitations se trouvent situées à quelque aspect qui ne convienne pas à la santé de quelques-uns d’eux, ils peuvent choisir un autre asile, y ayant un grand nombre de ces établissements dans presque toutes les villes[75].
Ce n’est que dans le seizième siècle que nous avons enfin possédé une race de ces Chats si chéris dans le Levant. J’ai recherché avec soin toutes les preuves de son établissement en , et le détail des différentes branches qui s’y sont répandues : mais pour mettre dans un plus beau jour l’histoire de cette maison, j’en ai fait la généalogie ; je vous l’envoie, Madame ; marquez-moi, je vous prie, si la forme vous en paraît assez claire, et assez raisonnée.
REMARQUES. On a cru devoir disposer cette Généalogie à l’imitation de celles de ces Peuples de l’Inde, qui comptent les filiations par les filles, attendu que les descendances sont plus exactes, et que d’ailleurs c’est une Chatte qui est en la source de cette irable race de Chats Asiatiques[76].
Revenons à cette grande ion que les Asiatiques ont pour les Chats. On nous objectera peut-être qu’elle n’est que l’effet de la superstition. L’exemple de Mahomet, dira-t-on, en est le seul mobile ; mais pour prouver l’illusion de ce raisonnement, nous n’aurions recours qu’à l’histoire.
Mahomet, parmi tous ses sectateurs, s’étant pris de la confiance la plus intime pour Abdorraham, voulut l’illustrer, en lui donnant un surnom éclatant. L’usage était chez les Arabes d’être appelé le père de quelque chose qui eût relation à vos mœurs ou à vos talents ; c’est de-là que Chalid hôte de Mahomet, pendant son voyage de Médine, s’était acquis par son extrême patience le nom d’Abujob, c’est-à-dire Père de Job. Mahomet, entre les qualités les plus estimées dans Abdorraham, jugea ne pouvoir puiser un surnom plus honorable que dans l’attachement qu’il avait pour un Chat qu’il portait toujours entre ses bras ; il le surnomma donc par excellence Abubareira, c’est-à-dire, le Père du Chat[77].
Mahomet alors, dans les premiers progrès de sa séduction, pesait toutes ses démarches ; il était trop politique pour appeler un de ses Disciples auquel il voulait donner de l’autorité, le Père du Chat, si les Chats n’avaient point été en grande considération chez les Arabes. L’effet que les noms propres produisent dans notre imagination ne nous donne-t-il pas lieu de croire que dans toutes les Nations il y a toujours eu une idée d’élévation ou d’avilissement attachée à ces mêmes noms propres[79].
Il est échappé aux recherches de ces différents voyageurs une tradition Orientale sur l’origine des Chats, qui me paraît plus imposante qu’aucune de celles qui viennent d’être rapportées, étant vraisemblable en quelques circonstances ; je la tiens du Mulla[80], qui accompagnait en le dernier Ambassadeur de la Porte. Voici cette tradition.
Les premiers jours que les animaux furent renfermés dans l’Arche, étonnés des mouvements de la Barque et du nouveau séjour qu’ils habitaient, ils restèrent chacun dans leur ménage, sans trop s’informer de ce qui se ait chez les animaux leurs voisins. Le Singe fut le premier qui s’ennuya de cette vie sédentaire ; il alla faire quelques agaceries à une jeune Lionne qui était dans son voisinage : cet exemple prit universellement, et répandit dans l’Arche un esprit de coquetterie qui dura pendant tout le séjour qu’on y fit, et que quelques animaux ont encore gardé sur la terre. Il se fit dans différentes espèces un nombre étonnant d’infidélités, qui donnèrent naissance à des animaux inconnus jusqu’alors.[81] Ce fut des amours du Singe et de la Lionne que naquirent un Chat et une Chatte, qui par une distinction bien marquée des autres animaux, nés comme eux des galanteries qui se èrent dans l’Arche acquirent en naissant la faculté de multiplier leur espèce.
Toutes les nations de l’Asie ne sont remplies que de traditions à la gloire des Chats ; chez les Indiens même, où les Brahmanes ces premiers Philosophes conservent depuis si longtemps une haute réputation, on voit dans leurs ouvrages de Philosophie les Chats et les Brahmanes souvent mis en parallèle. J’ai découvert à cet égard un fragment de l’histoire des Dieux de l’Inde bien authentique ; c’est dans une relation manuscrite qui est entre les mains d’une personne connue par beaucoup d’esprit, et par une profonde érudition[82].
LE CHAT, LE BRAHMANE, ET LE PÉNITENT
Un Roi des Indes nommé Salangam avait à sa Cour un Brahmane[84] célèbres l’un et l’autre, par l’excellence de leur vertu ; il en résultait entr’eux une rivalité et une dissension qui causait souvent des évènements merveilleux.
Un jour que ces illustres Athlètes disputaient devant le Roi sur le degré de vertu que l’un prétendait avoir sur l’autre, le Brahmane outré de voir le Pénitent partager avec lui l’estime de la Cour, déclara hautement que sa vertu était si recommandable auprès du Dieu Parabaravarastou, qui est dans l’Inde le Roi des Divinités du premier ordre, qu’à l’instant même il pouvait à son gré se transporter dans l’un des sept Cieux où les Indiens aspirent. Le Pénitent prit au mot le Brahmane ; et le Roi qu’ils avaient choisi pour juge de leur différend, lui prescrivit d’aller dans le Ciel de Dévendiren[85], et d’en rapporter une fleur de l’arbre appelé Parisadam, dont la seule odeur communique l’immortalité. Le Brahmane salua profondément le Roi, prit son essor, et disparut comme un éclair ; la Cour resta étonnée, mais on ne doutait pas cependant que le Brahmane ne perdît la gageure. Le Ciel de Dévendiren n’avait jamais été accessible aux mortels. Il est le séjour de quarante-huit millions de Déesses qui ont pour maris cent vingt-quatre millions de Dieux, dont Dévendiren est le Souverain ; et la fleur Parisadam dont il est extrêmement jaloux, fait le principal délice de son Ciel.
Le Pénitent avait grand soin de faire valoir toutes ces difficultés, et s’applaudissait déjà de la honte prochaine de son rival. Lorsque tout-à-coup le Brahmane reparut avec la fleur céleste qu’il n’avait pu cueillir que dans les Jardins du Dieu Dévendiren, le Roi et toute la Cour tombèrent d’iration à ses genoux, et on exalta sa vertu au degré suprême. Le Pénitent seul se refusa à cet hommage. Roi, dit-il, et vous Cour trop facile à séduire, vous regardez l’accès du Brahmane dans le ciel de Dévendiren comme une grande merveille ! Ce n’est que l’ouvrage d’une vertu commune ; sachez que j’y envoie mon Chat, quand bon me semble, et que Dévendiren le reçoit avec toutes sortes d’amitiés et de distinctions. Il dit ; et sans attendre de réplique, il fit paraître son Chat qui s’appelait Patripatan. Il lui dit un mot à l’oreille, et voilà le Chat qui s’élance, et qui, à la vue de cette Cour extasiée, va se perdre dans les nues ; il perce dans le Ciel de Dévendiren, qui le prend entre ses bras, et lui fait mille caresses.
Jusque-là le projet du Pénitent allait à merveilles ; mais la Déesse favorite de Dévendiren, fut frappée comme d’un coup de foudre, d’un goût si emporté pour l’aimable Patripatan, qu’elle voulut absolument le garder.
Dévendiren à qui le Chat avait d’abord expliqué le sujet de son ambassade, s’y opposa. Il représenta que Patripatan était attendu avec impatience à la Cour du Roi Salamgam ; qu’il y allait de la réputation d’un Pénitent ; que le plus grand affront qu’on pût faire à quelqu’un, était de lui dérober son Chat. La Déesse ne voulut rien entendre ; tout ce que Dévendiren put obtenir, fut qu’elle le garderait seulement deux ou trois siècles, après lesquels elle le renverrait fidèlement à cette Cour qui l’attendait. Salamgam s’impatientait cependant de ce que le Chat ne revenait point ; le Pénitent seul avait un front assuré : enfin ils attendirent les trois siècles entiers, sans autre inconvénient que l’impatience ; car le Pénitent, par le pouvoir de sa vertu, empêcha que personne ne vieillît. Ce temps écoulé, on vit tout-à-coup le Ciel s’embellir, et d’un nuage de mille couleurs sortir un trône formé de différentes fleurs, du Ciel de Dévendiren. Le Chat était majestueusement placé sur ce trône ; et étant arrivé auprès du Roi, il lui présenta avec sa patte charmante une branche entière de l’arbre qui porte la fleur de Parisadam. Toute la Cour cria victoire : le Pénitent fut félicité universellement ; mais le Brahmane osa à son tour lui disputer ce triomphe. Il représenta que la vertu du Pénitent n’avait pas opéré seule ce grand succès ; qu’on savait le goût déterminé que Dévendiren et sa Déesse favorite avaient pour les Chats, et que sans doute Patripatan dans cette merveilleuse aventure avait au moins la moitié de la gloire. Le Roi frappé de cette judicieuse réflexion, n’osa décider entre le Pénitent et le Brahmane ; mais tous les suffrages se réunirent d’iration pour Patripatan, et depuis cet événement ce Chat illustre fit les délices de cette Cour, et soupa chaque soirée sur l’épaule du Monarque. Vous le croyez bien, Madame.
J’ai l’honneur d’être, etc.
On soupçonne les Chats, Madame, d’avoir un penchant à nuire ; que c’est peu les connaître ! Il ne faut qu’un coup de crayon pour faire leur apologie ; ce trait qui prouvera leur douceur et leur facilité, est bien à la honte des hommes : mais il s’agit de justifier l’innocence, nous ne pourrions rien dissimuler. Faisons-nous un effort, Madame. Considérons attentivement les Chats dans l’instant de l’attentat qu’on ose faire sur leur personne, par le ministère barbare des Chaudronniers ; déjà la perfidie est consommée : Un Chat séduit par les caresses d’un homme dont il a bien voulu se faire un maître, s’est livré entre les mains d’un ennemi. Il s’en échappe enfin ; il est outragé ; il a toujours cette griffe dont on a tant exagéré les atteintes ; cependant un généreux mépris devient sa seule vengeance. Il se contente de fuir ces hommes qui l’ont si inhumainement trahi ; mais bientôt gagné par ce malheureux penchant avec lequel il est né pour eux, il revient, et leur découvre pour tout reproche cette taciturnité et cette langueur dans laquelle il e le reste de sa vie.
Un Sonnet en bouts rimés remplis par Monsieur de Benserade, est un tableau irable de la noble affliction des Chats, lorsqu’ils ont éprouvé les horreurs de la mutilation : Le Chat de Madame Deshouillières est le héros de cette tragique aventure.
SONNET
Je ne dis mot et je fais bonne… mine
Et mauvais jeu depuis le triste… jour
Qu’on me rendit inhabile à… l’amour
Des Chats galants, moi la fleur la plus… fine ;
Ainsi se plaint Moricaut et… rumine
Contre la main qui lui fit un tel… tour ;
Il est glacière, au lieu qu’il était… four ;
Il s’occupait, maintenant il… badine.
C’était un brave et ce n’est plus qu’un… sot,
Dans la gouttière il tourne au tour du… pot,
Et de bon cœur son Sérail en… enrage ;
Pour les plaisirs il avait un… talent,
Que l’on lui change au plus beau de son… âge :
Le triste état qu’un état… indolent !
Qu’on ne nous dise point que les Chats ne connaissent pas le prix de cet attribut que nous croyons (tyrans que nous sommes) avoir le droit de leur ravir. Il n’appartient qu’aux hommes de soutenir, sans rougir, de pareils affronts. Jadis un Prêtre de Cybèle[86], qui dans son délire s’était, pour ainsi dire, désuni de soi-même, reparaissait dans la société avec plus de confiance et de considération. Aujourd’hui un enfant de tribut s’enorgueillit de la misère qui va lui ouvrir l’intérieur du Palais de son Sultan ; on le félicite de ce honteux acheminement à la faveur de son maître. Un Chat mutilé non seulement sent tout le poids de son indigence, mais elle devient aux yeux des autres Chats un vice, qui les dispense de tous devoirs à son égard ; ils lui font cent avanies ; ils l’accablent d’outrages. L’erreur vulgaire est que ce sont les Chattes qui se chargent de remplir cette haine ; mais cette fausse persuasion n’est qu’un effet de l’ignorance où l’on voit le commun des hommes de ce qui se e dans le sein des gouttières. Si on avait eu le soin de faire des mémoires de la vie de cette célèbre Chatte de l’Hôtel de Guise, dont la généalogie est rapportée dans la Lettre précédente, il ne faudrait point d’autres preuves pour établir que ce sont les Chats seuls qui osent insulter au malheur de leurs confrères mutilés ; on ferait connaître en même temps de quelle fidélité en amour et de quelle délicatesse une Chatte peut être capable.
L’aimable Brinbelle, ainsi que nous l’avons déjà exposé, avait épousé en troisièmes noces Ratillon d’Austrasie ; jamais époux n’ont ressenti l’un pour l’autre un penchant si vif et si durable ; se voir et s’aimer ne fut mutuellement pour eux que ce qu’on appelle l’ouvrage d’un moment, et cette façon de s’unir a bien des charmes.
Un amour qui doit un jour naître
Ne saurait trop tôt se former ;
Commencer tous deux par s’aimer,
Est un moyen si doux de se connaître.
Nos Chats s’aimèrent donc dès la première entrevue, et ne se connurent que pour s’en aimer davantage. Il n’y avait point de toit solitaire où ils n’allassent se donner des témoignages d’une union si digne d’envie, et miauler (si j’ose dérober ce tour agréable à M. de Voiture[87]) miauler leurs mutuelles amours. Un voisin de mœurs assez sauvages, pour ne pas trouver bon que la conversation de nos amants interrompît son sommeil, attira par de feintes caresses le jeune matou, et lui tendit des pièges qu’un Matou de sang-froid aurait aperçu ; mais celui-ci s’y laissa prendre.
Amour amour quand tu nous tiens
On peut bien dire adieu prudence[88].
Il tomba donc dans les mains de son ennemi, qui dans sa fureur en fit un nouvel Atys. Représentez-vous la douleur de la Minette Amante, quand elle découvrit ce mystère d’inhumanité. Ne vous imaginez pas que notre Héloïse moderne allât comme l’épouse d’Abélard, regrettant le bien-être que son époux ne pouvait plus lui procurer.
Le cœur fait tout, le reste est inutile.
M. de La Fontaine semble l’avoir dit exprès pour la gloire de notre Chatte : en vain une foule de Minons aimables et entreprenants lui offrirent des soins qu’ils regardaient comme la plus sûre consolation qu’elle put recevoir.
Rien ne put ébranler sa fidélité. Héloïse consentit à se renfermer dans un Cloître donc l’austérité ne lui laissa pas les occasions de manquer de foi à son Abélard. Notre Chatte plus sûre d’elle-même et plus attachée à son Amant, ne se força point à être vertueuse ; elle se conserva sa liberté toute entière, et ne l’employa qu’à rester fidèle. Elle ne perdit pas de vue un moment ce Chat si chéri ; et comme les animaux de son espèce, très délicats sur la perfection de leurs semblables, traitent outrageusement ceux qui comme lui sont, pour ainsi dire, séparés de leur être ; elle prit sa défense avec intrépidité ; on la vit cent fois déployer ses griffes contre les persécuteurs de ce Chat adoré, entre les pattes duquel elle a délicieusement le reste de sa vie[89].
Avouez, Madame, que depuis qu’il y a des Amants, on trouve peu de modèles d’une ion aussi pure, et d’un aussi bon exemple. Nous entendons dire bien souvent que les sujets de Tragédie sont épuisés. Que n’a-t-on recours à des événements aussi imposants que celui-ci, et qui se sont és sous nos yeux ? Quel poème dramatique ne formerait-on pas des amours généreux que nous venons de dépeindre ? Si par crainte de la singularité on n’osait mettre nos Héros en scène sous leur forme naturelle, (ce qui serait, selon moi, cependant un effet irable) il serait si simple de les produire sous des noms grecs. N’avons-nous pas, dans les temps de la décadence de l’Empire d’Orient, un assez grand nombre de personnages connus qui ont éprouvé les malheurs du Chat de l’Hôtel de Guise ? Cette circonstance qui pourrait former le nœud de la pièce, se trouverait ainsi liée à l’histoire ; mais je reviens toujours à croire que le tableau serait bien plus intéressant à représenter le sujet dans sa première simplicité : on est si accoutumé à ne voir que des hommes sur la scène, ce serait au théâtre une nouveauté piquante, et qui entraînerait sans doute un grand succès.
Nous parlions de la fidélité des Chattes. Quelle preuve plus glorieuse pour elles que cette sympathie que tant de Naturalistes ont reconnu qu’elles avaient pour leurs époux ? Quand il meurt, pendant qu’elles sont pleines, pour nous servir du terme vulgaire, soit qu’elles apprennent cette perte ou non, il se e en elles une révolution qui les fait aussitôt avorter.
Et ces grands cris que les Chattes font la nuit dans la partie supérieure des Villes, le vulgaire les regarde comme des clameurs purement machinales. Les Anciens sont partagés à cet égard. L’un a prétendu que c’est l’effet des griffes du Matou, qui par excès de zèle les embrasse trop vivement[91] en imagine encore une autre cause galante dont on ne conçoit pas bien comment on peut s’instruire. Il fait de la Chatte une Sémelé, et du Matou un Jupiter ; mais la vraie origine de ces cris est l’ouvrage de la prudence d’une Chatte qui avait une grande ion dans le cœur.
Voici donc l’opinion la plus communément reçue au sujet des exclamations des Chattes ; celle que je viens de citer était en rendez-vous avec un Chat qu’elle aimait éperdument. Ceux qui suivent l’ancienne Philosophie, prétendent que c’était le moment précis où son amant triomphait de sa faiblesse. Il est vrai que ce sentiment est fondé sur l’opinion d’Aristote[92], qui soutient que les Chattes ayant beaucoup plus de tempérament que les Chats, bien loin d’avoir la force de leur tenir rigueur un moment, elles leur font d’éternelles agaceries, sans ménagement, sans pudeur, au point même qu’elles en viennent à la violence, si le Matou paraît manquer de zèle.
Quoiqu’il en soit, une Souris parut, et voilà notre galant qui part, et qui se met à sa poursuite. La Chatte piquée, comme vous le jugez bien, imagina un expédient pour ne plus éprouver un pareil affront ; c’était de jeter de temps-en-temps de grands cris chaque fois qu’elle était en tête à tête avec son amant. Ces cris ne manquèrent jamais d’aller au loin effrayer la gent Souris qui n’osa plus venir troubler leur rendez-vous. Cette précaution parut si sage et si tendre à toutes les autres Chattes, que depuis cet événement, dès qu’elles sont avec leur Matou favori, elles affectent de répandre ces clameurs ; épouvantail certain de l’espèce souriquoise. Mon Dieu, que les femmes seraient heureuses s’il ne fallait que cet expédient, pour empêcher que leurs amants n’eussent des distractions avec elles.
J’ai l’honneur d’être, etc.
À examiner les axiomes de morale, on découvre que ceux qui ont une forme proverbiale, sont le plus généralement établis dans les esprits[93] ; mais ce qui est bien à la louange des Chats, est l’attention qu’on a eu de les choisir pour former le corps de la plupart de ces judicieuses maximes.
Les Anciens ont fait des définitions de la prudence, bien dignes d’être longtemps accréditées dans les esprits ; aussi s’y sont-elles maintenues en autorité jusqu’à temps que quelqu’un a dit par un effort d’imagination inespéré, Chat échaudé craint l’eau froide ; on a iré. Tout autre tableau a disparu, et les Chats sont restés en possession d’être le symbole parfait de la prudence. Quelle gloire pour eux que ce soit dans leur conduite que les hommes soient réduits à puiser les plus sages exemples qu’ils puissent suivre ! mais aussi quel spectacle comique pour ces mêmes Chats de nous voir retomber tous les jours dans les mêmes pièges dont nous avons déjà éprouvé le danger ! Une Maîtresse qui nous aura trahi cent fois, trouve encore dans notre faiblesse des ressources de confiance en elle, qui la mettent plus que jamais à portée de nous faire de nouvelles trahisons. Un Chat ne peut être dupé qu’une fois en sa vie ; il est armé de défiance non seulement contre ce qui l’a trompé, mais même contre tout ce qui lui fait naître l’idée de la tromperie. L’eau chaude l’aura outragé ; ç’en est assez, il craindra même la froide, et n’aura jamais que très peu de commerce avec elle.
N’en rougissons point ; c’est dans les gouttières que nous ferions bien d’aller chercher de l’éducation ; c’est là que nous trouverions des exemples irables d’activité, de modestie[94], d’émulation noble, de haine de la paresse. Lorsqu’Annibal, ne se permettant aucun repos, observait sans cesse Scipion, afin de trouver l’occasion favorable de le vaincre, quel modèle avait-il devant les yeux ? Il guettait son ennemi, comme le Chat fait la Souris.
Il est vrai que dans le nombre des proverbes où les Chats font l’objet principal du tableau, il y en a qui semblent faits exprès pour les tourner en ridicule[95] ; mais de quoi n’abuse-t-on pas ? Et combien la vanité de dire un bon mot, a-t-elle entraîné d’injustes plaisanteries ? Quand on veut peindre un amour effréné qui s’attache aux premiers objets qui se présentent, on dit communément que c’est courir les gouttières ; on compromet ainsi la conduite des Chattes, sans examiner si elles méritent une pareille application. Pour peu qu’on ait l’esprit d’analyse, ne conviendra-t-on pas que d’acc les Chattes parce qu’elles courent les gouttières, c’est comme si on voulait donner un travers à une jolie femme, pour s’être promenée sur une terrasse de sa maison. Il est donc certain que les Chattes ne s’écartent point de l’exacte bienséance, quand elles parcourent à leur gré les toits et les cheminées. Il ne s’agit plus que d’examiner ce qui les y attire dans des moments que les hommes ont consacré au repos : C’est l’amour, me dira-t-on, qui les réveille ? Sans doute. Mais c’est le plaisir d’aimer, et non une imagination déréglée, comme on le suppose. C’est un Chat favori, un seul Chat qu’elles y cherchent ordinairement ; et d’ailleurs, quand quelqu’une d’elles y aurait eu de la faiblesse pour quelques-uns de ces Matous à bonnes fortunes, auxquels on cède par vanité ; il y a eu telle autre Chatte, dont la conduite réservée, peut bien être ise pour compensation. Il ne faut que lire ce fameux Sonnet sur la Chatte de Madame de Lesdiguières.
SONNET
Menine aux yeux dorés, au poil doux, gris et fin ;
La charmante Menine, unique en son espèce ;
Menine, les amours d’une illustre Duchesse,
Et dont plus d’un Mortel enviait le destin :
Menine qui jamais ne connut de Menin,
Et qui fut de son temps des Chattes la Lucrèce ;
Chatte pour tout le monde, et pour les Chats Tigresse :
Au milieu de ses jours en a trouvé la fin.
Que lui sert maintenant, que dédaigneuse et fière,
Jamais d’aucun Matou, sur aucune gouttière,
Elle n’ait écouté les amoureux regrets !
La Parque étend ses droits sur tout ce qui respire,
Et de ne rien aimer, tout le fruit qu’on retire,
C’est une triste vie, et puis la mort après.
De quelque manière qu’on ait employé les Chats dans les façons communes de parler qui se sont établies, il en résulte toujours une conséquence avantageuse pour eux. Si on n’avait pas été dans l’habitude de s’en occuper, il aurait été tout simple de choisir d’autres animaux, ou enfin d’autres figures pour être le corps de ces proverbes. Mais les Chats étaient estimés ; on ne pouvait les ramener trop souvent aux sujets de conversation ; on les a liés aux maximes de morale. Eh ! que pourrait-on y substituer à leur place ? Veut-on représenter quelqu’un qui sait se tirer avec adresse de toutes les situations embarrassantes ? il est si simple et si élégant de dire : Il est du naturel des Chats, il tombe toujours sur ses jambes.
Il faut avouer que cet attribut avec lequel ils sont nés, est bien irable. L’Académie des Sciences n’a pas regardé comme une étude indifférente, le soin d’en expliquer la cause : Ayez le plaisir, Madame, de lire l’extrait que voici des Mémoires de cette Académie[96].
Les Chats quand ils tombent d’un lieu élevé, tombent ordinairement sur leurs pieds, quoiqu’ils les eussent d’abord en haut, et qu’ils dussent par conséquent tomber sur la tête ; il est bien sûr qu’ils ne pourraient pas eux-mêmes se renverser ainsi en l’air, où ils n’ont aucun point fixe pour s’appuyer ; mais la crainte dont ils sont saisis leur fait courber l’épine du dos, de manière que leurs entrailles sont poussées en haut. Ils allongent en même temps la tête et les jambes vers le lieu d’où ils sont tombés, comme pour le retrouver : ce qui donne à ces parties une plus grande action de levier ; ainsi leur centre de gravité vient à être différent du centre de figure, et placé au-dessus. D’où il s’ensuit que ces animaux doivent faire un demi-tour en l’air et retourner leurs pattes en bas : ce qui leur sauve presque toujours la vie. La plus fine connaissance de la mécanique ne serait pas mieux dans cette occasion, que ce que fait un sentiment de peur confus et aveugle.
Madame, il me semble que ceci n’est pas trop à la louange des Chats. Je ne m’en suis pas aperçu du premier coup d’œil ; je n’étais touché que du plaisir de connaître que l’Académie des Sciences s’est occupé d’eux. Les laisserons-nous ne se sauver que comme des imbéciles, à la faveur d’un sentiment confus et aveugle ? Mais c’est Monsieur de Fontenelle qui s’explique ainsi ; à qui nous en plaindre ? Ses ouvrages ont embrassé tous les genres d’esprit. Il a partout des irateurs ; il est en droit d’avoir tort impunément avec nos Chats. Réduisons-nous à répondre que si ce n’est que la peur qui les sert si bien, la nature les a du moins traités avec une grande distinction, de leur faire trouver jusques dans leur faiblesse des ressources pour leur conservation ; et qu’il serait bien désirable pour les hommes, que leur frayeur ressemblât à celle des Chats.
J’ai l’honneur d’être, etc.
Un avantage bien marqué, Madame, que les Chats ont sur les autres animaux, est cette propreté qui leur est si naturelle. Plusieurs Sages de l’Antiquité[98] ; ce savoir-vivre (car cette façon de parler doit nous être permise) n’est point comme dans les autres animaux le fruit d’une éducation formée par la violence et par les châtiments ; la propreté est dans les Chats un présent de la nature. Eh ! quelles dispositions heureuses ne leur a-t-elle pas donné ? Un Chat par étourderie ou par humeur (car dans quelle société ne se trouve-t-il pas quelque membre défectueux) un Chat, dis-je, commet une incivilité ou une injustice, il n’est pas besoin d’employer les injures, ni les menaces pour lui en imposer ; on ne sait que l’appeler par son nom : Au Chat, lui dit-on, simplement. À ce mot il revient à lui-même ; il sent sa turpitude ; il ne peut plus soutenir des regards qui ont éclairé ses dérèglements. Il fuit ; il va dans la solitude des gouttières cacher sa honte, et se livrer à ses remords.
Il n’est donc pas étonnant de voir tant de personnes du premier mérite sentir tout le prix du commerce des Chats. Madame Deshoulières n’a pu ref à sa Muse le plaisir de les célébrer : Une grande princesse[99] a immortalisé Marlamain son illustre Chat, par des vers dignes d’être gravés dans le Temple des Grâces. Quels avantages ne tirerons-nous pas de cet ouvrage ? Relisons-le encore, je vous prie, Madame.
RONDEAU MAROTIQUE
De mon Minon veux faire le tableau,
Besoin serait d’un excellent pinceau,
Pour crayonner si grande gentillesse ;
Attraits si fins, si mignarde souplesse ;
Mais las ne suis que chétif Poètereau,
Dirai pourtant qu’il n’est rien de si beau,
Que Cupidon tant joli Jouvenceau,
Pas n’a l’esprit ni la délicatesse
De mon Minon.
Que si Jupin se changeait de nouveau,
Plus ne serait Serpent, Singe, ou Taureau ;
Ains pour toucher quelque gente Maîtresse,
Se dépouillant de sa divine espèce,
Revêtirait la figure et la peau,
De mon Minon.
Gentil Minon, ma joie et mon soulas,
Pour célébrer dignement tes appas,
Voudrais pouvoir rappeler à la vie
Cil qui chanta le Moineau de Lesbie ;
Ou bien celui qui jadis composa
Carmes exquis pour la charmante Issa.
Mais las en vain des ténébreux rivages,
Évoquerais si fameux personnages !
Il te faut donc aujourd’hui contenter,
De ce Rondeau qu’amour m’a su dicter.
Quels Héros n’envieraient aux Chats la gloire d’un pareil éloge ? Et quelle Muse ne s’honorerait d’en avoir fait les vers[100] ?
Les Chats peuvent donc se vanter d’avoir eu pour chanter leurs personnages illustres, les esprits de notre siècle les plus célèbres.
Ceux qui ont cherché à leur donner des travers sont tombés dans l’oubli ; la haine des Chats est dans les Auteurs un caractère de médiocrité : il n’y a qu’à lire le Quatrain du Chevalier d’Acilly.
Notre Chatte qu’il vous souvienne,
Que si vous battez notre Chienne,
Vous ferez bientôt le manchon
De notre petite Fanchon.
Voilà ce qu’un génie vulgaire produit. Scarron doué d’une belle imagination est bien loin de tomber dans une pareille erreur. Il nous reste de lui une pièce fugitive qui prouve encore de quel engouement on peut être pour les Chats ; il conte une aventure qui vous paraîtra comme à moi, j’en suis sûr, très propre à former le sujet d’une excellente Comédie.
ÉPÎTRE DE SCARRON
à Madame de Montatère[101]
Une Dame, on m’a fait secret,
Encore que je sois discret,
De son nom, de son parentage,
De sa figure et de son âge ;
Un ami seulement m’a dit :
Une Dame, et cela suffit ;
Une Dame donc fort joyeuse,
D’un Chat qu’elle avait amoureuse ;
Ne sachant à quoi l’am,
Fit dessein de le déguiser.
D’une tresse faite à merveilles,
Et de riches pendants d’oreilles,
Le chef du Chat elle para,
Et l’ayant paré, l’ira :
Lui mit au col de belles perles,
Plus grosses que des yeux de Merles,
De Merlan, ce serait mieux dit,
Mais la rime me l’interdit ;
Une chemise blanche et fine,
Une jupe, une hongreline,
Un collet, un mouchoir de cou,
Et force galants du Marcou,
Firent une brave Donzelle ;
À la vérité pas fort belle ;
Mais au moins elle ravissait
La Dame qui l’embellissait.
Devant un grand miroir, la Dame,
Tenait la moitié de son âme ;
Ce Chat qui ne témoignait pas,
S’étonner, ni faire grand cas
Des caresses de cette folle,
Ni de se voir comme une idole.
Cependant quelqu’un qui survint
Fut cause que la Dame tint
Son Chat avec que négligence.
Sans mettre l’affaire en balance,
Le bon Chat gagna l’escalier,
Et de là gagna le grenier,
Du grenier gagna les gouttières ;
Et voilà la Dame aux prières,
Aux cris, à conjurer les gens
D’être après son Chat diligents ;
Mais dans le pays des gouttières,
Les Marcous ne s’attrapent guère :
On suivit le Chat, mais en vain.
On s’informa le lendemain
Des voisins, on leur dit l’histoire :
Les uns eurent peine à la croire ;
Les autres la crurent d’abord,
Et tous s’en divertirent fort ;
Et cependant le Chat sauvage
Ne revint point ; la Dame enrage,
Moins pour les perles de son cou,
Que pour la perte du Matou.
Il paraît par cette aventure que les Chats n’aiment point à représenter ; tout ce qui a l’air de sujétion répugne apparemment à cette indépendance dans laquelle ils sont nés. Monsieur de Fontenelle contait il y a quelques jours, qu’étant enfant il avait un Chat dont il s’amusait extrêmement. Vous croyez bien, Madame, que je recueillis très précieusement cette circonstance, espérant bien d’en tirer la conséquence naturelle que dans l’enfance le goût pour les Chats peut être regardé comme le présage d’un mérite supérieur. Nous avons d’ailleurs des preuves que ce même goût subsiste encore quand la raison est venue, n’étant point incompatible avec les occupations les plus sérieuses. On voit que c’était pour Montagne une vraie récréation que d’étudier les actions de son Chat ; et personne n’ignore qu’un des plus grands Ministres qu’ait eu la [102] avait toujours des petits Chats folâtrants dans ce même Cabinet d’où sont sortis tant d’établissements utiles et honorables à la Nation. Mais revenons à ce que j’ai à vous conter de Monsieur de Fontenelle : entre autres jeux, il imagina donc de prononcer un discours qu’il composait sur le champ ; mais ne trouvant aucune attention dans les autres enfants qui devaient l’écouter, et ne voulant point se er d’auditoire, il prit son Chat, et l’ayant placé dans un fauteuil, l’érigea en spectateur ; le Chat oubliant bientôt qu’il formait lui seul toute l’assemblée, part, gagne la porte, et l’orateur de courir après son auditoire d’escaliers en escaliers, déclamant toujours avec enthousiasme, jusqu’à temps que le Chat ayant atteint les gouttières, il le perdit tout-à-fait de vue.
Je suis bien fâché qu’il n’ait pas mis en vers cet événement. Quel titre ce serait pour les Chats, s’ils se trouvaient placés entre le Sonnet de Daphné et les Mondes !
Notre histoire serait plus étendue que celle des sept Sages de la Grèce, si nous rapportions tous les ouvrages des Poètes fameux à l’honneur des Chats ; mais je n’ai fait usage de ces différentes Poésies dans le cours de ces Lettres, qu’autant qu’elles servent d’autorité ou d’éclaircissements à quelque circonstance essentielle à la gloire de nos Héros ; j’ai rassemblé cependant tous ces ouvrages : Une collection si curieuse ne peut être qu’agréable à ceux qui aiment à épuiser chaque matière, et présentera aux amateurs des Chats dans un seul tableau, tous ces différents points de vues trop dispersés, dont ils s’occupent avec tant de plaisir.
Les Chats ont encore parmi nous des titres d’une autre espèce. Paris enferme un Édifice qui par sa simplicité et son élégance fait bien de l’honneur à l’Architecture ; c’est le tombeau du Chat de Madame de Lesdiguières. L’Épitaphe[103] qui y est gravée prouve assez que ce Chat faisait tout l’agrément de la vie de sa Maîtresse, qui l’aimait, dit-on, à la folie : Caractère des grands attachements.
J’ai l’honneur d’être, etc.
Je r’ouvre ma Lettre, Madame, pour vous marquer combien je partage votre douleur sur la mort de Marlamain que vous ne pouvez ignorer. On vient de me l’apprendre sans aucun ménagement ; jugez de ma situation. Vous a-t-on conté toutes les circonstances de cette triste aventure ? Une demie heure avant qu’il expirât, on a connu à ses inquiétudes qu’il voulait être porté dans l’appartement de son illustre Maîtresse. À peine s’est-il trouvé auprès d’elle, qu’il a rassemblé tout ce qui lui restait de forces pour faire les adieux les plus tendres ; quelques moments après, comme on s’est aperçu qu’il voulait qu’on l’emportât, pour épargner sans doute le spectacle de sa mort, on l’a remis dans sa chambre, où il est expiré. Son dernier soupir a été un de ces miaulements doux et tendres, qu’il était accoutumé de faire, quand il était honoré de ces caresses qui l’ont rendu si illustre. Je viens d’essayer de faire son Épitaphe : je vous en fais part, mais ne la lisez point, si vous connaissez celle dont Monsieur de La Mothe est l’auteur. Elle m’a appris le peu que vaut la mienne.
ÉPITAPHE DE MARLAMAIN
Minon, quel que tu sois, arrête ici tes pas,
Au pouvoir d’Atropos, ta Griffe est asservie,
Apprend quelle est la rigueur du trépas,
Lorsqu’il faut s’arracher à la plus douce vie.
Hélas ! j’ai vu er des jours délicieux.
Ô Chats Égyptiens, mes augustes aïeux !
Vous qui sur un Autel, entourés de Guirlandes,
Étiez l’amour des cœurs, et le charme des yeux ;
On vous a prodigué des Hymnes, des offrandes ;
De tous ces vains respects je ne fus point jaloux ;
Ludovise[104] m’aima, votre gloire est moins belle ;
Vivre simple Chat auprès d’elle,
Vaut mieux qu’être Dieux comme vous.
Vous allez être bien aise, Madame, de voir le nom des Chats écrit en hébreu : en voici les caractères :
Ils se lisent Chatoul[105] ; c’est là selon le savant M. Ménage, que commence la généalogie des différents noms que les Chats ont reçu successivement dans les Nations. De Chatoul, les Grecs ont fait Κατις ; et ce Catis est devenu d’abord chez les Latins Cautus, qui veut dire Prudent et Avisé, et qui en cette qualité s’est trouvé propre à former Catus, dont nous avons tiré le mot de Chat. Voilà donc, Madame, des noms à choisir pour nos amis ; noms d’autant plus convenables, qu’ils exposent par leur étymologie, quelques qualités de l’animal aimable auquel ils sont appliqués : Et nous avons le dégoût de voir qu’au lieu d’aller puiser dans des sources si fécondes, on donne aux Chats dans presque toutes les maisons, des sobriquets au hasard, et qui ne portent sur aucune idée raisonnable ; les plus grands hommes parmi les Modernes sont tombés dans cette erreur. Monsieur de La Fontaine, en cent endroits de ces Fables, semble affecter de donner aux Chats des dénominations ridicules, dans les endroits même où il fait leur éloge. Pourquoi ne pas imiter à cet égard le divin Homère : quand il parle des Chats, c’est toujours avec les égards et les convenances qu’il est si naturel d’observer pour eux. Il n’y a qu’à lire son Poème de la Batrachomyomachie, lorsqu’il a à peindre leur talent pour attraper les Souris. Psycarpax Prince Rat, parle ainsi à Bouffard Roi des Grenouilles :
Le Chat aux doigts tranchants, je l’avouerai, Seigneur,
Dans mes sens éperdus imprime la terreur ;
Des pièges, il est vrai, l’amorce est redoutable,
Mais je crains cent fois plus une patte implacable,
Qui jusques sous nos toits, (oh perfide transport !)
Vient se cacher, m’atteindre, et me donner la mort ;
Ma valeur vainement s’oppose à tant de rage,
Contre une griffe hélas ! à quoi sert le courage[106] ?
C’est dans les actions des Héros qu’on a toujours puisé les surnoms qu’on leur a donné : qu’on cherche dans les Naturalistes les attributs des Chats ; mille épithètes honorables viendront se présenter. Il est vrai qu’on pourra quelquefois envisager les Chats par des faces moins favorables. Quand on examinera cette souplesse, et ce silence avec lequel ils se glissent dans les endroits où ils peuvent attraper des oiseaux[109]. J’ai heureusement recueilli sur ce sujet des Vers que je crois traduits de l’Arabe. C’est une Idylle intitulée Les Chats. La personne dans les mains de laquelle elle était tombée, accoutumée à ne voir dans ces sortes d’ouvrages que des Oiseaux, des Chèvres, ou des Moutons, était très surprise de ce que les Chats étaient devenus un sujet Pastoral. Ces Vers, lorsqu’elle me les communiqua, réveillèrent d’abord en moi le souvenir de ces Chats de l’Île de Chypre que j’ai cité dans ma quatrième Lettre, qui aient une partie du jour à la chasse des Serpents dans la campagne, et se rendaient à des heures réglées au Monastère où ils habitaient. Je pensai, comme cela vous paraîtra tout simple, que le Moine auquel le soin de sonner la cloche pour le dîner des Chats était confié, et qui les conduisait dans la prairie, s’occupait d’eux comme les Pasteurs font si naturellement de leurs Moutons. Le loisir de cette vie heureuse lui avait inspiré sans doute le goût de la Poésie et n’ayant point de Bergère à célébrer, il avait du moins chanté son Troupeau. Je crois, Madame, que mes conjectures vous paraîtront sensées, quand vous aurez lu cet ouvrage. Le voici.
IDYLLE
C’en est assez, beaux Chats, suspendez votre zèle,
Grimpez, grimpez, sur ces rameaux épais ;
Pendant l’ardeur du jour goûtez la douce paix
Que vous rendez à cette Île si belle.
Ces Gazons émaillés des plus vives couleurs,
Ces Bosquets toujours verts, cette onde qui serpente ;
Le croirait-on, hélas ! inspiraient l’épouvante ;
Mille et mille Serpents s’y cachaient sous les fleurs.
C’est votre Griffe tutélaire,
Qui de tant de périls termine enfin le cours ;
Que tout célèbre ici cette Griffe si chère ;
Non, non, ce n’est qu’aux Chats que l’on doit les beaux jours.
Le Dieu des cœurs vous devra les conquêtes,
Qui vont éterniser sa gloire dans nos bois ;
Quel triomphe pour vous chaque jour dans nos fêtes :
L’Écho répétera cent fois,
Ô délice des cœurs, ô belle Cythérée,
Rien ne nous contraint plus, nous vous suivrons toujours ;
Dans cette Île, où jadis vous fûtes adorée,
Les Chats ont ramené les jeux et les amours.
Tendres Minons, c’est par vos seuls exemples.
Que la fidélité peut relever ses Temples.
Quels modèles pour notre cœur,
Quand la beauté qui vous est chère,
De vos feux partage l’ardeur !
Vous n’êtes point flattés du vain orgueil de plaire,
Le seul plaisir d’aimer fait tout votre bonheur :
Que les Bergers ici viennent apprendre,
À ressentir des feux qu’ils ne connaissent pas ;
Ah ! quand on veut brûler de l’amour le plus tendre,
Il faut aimer comme les Chats.
Ne trouvez-vous pas, Madame, que ce nouveau détail de Bergerie a quelque chose de plus vaste et de plus piquant, (sans cependant sortir de la simplicité champêtre) que le genre Pastoral qu’ont traité les Anciens ? Quel dommage que Théocrite n’ait pas eu l’idée de celui-ci. On ne peut vanter dans les Moutons que la blancheur de leur laine, les bonds qu’ils font sur le penchant d’un coteau, ou le bêlement d’une Brebis qui appelle son petit Agneau. Il n’y a rien là d’intéressant pour le cœur. Si l’on veut remuer le Lecteur par des images de l’amour, il faut lui faire perdre de vue le Troupeau pour ne l’occuper que du Berger et de la Bergère : mais dans une Bergerie de Chats, c’est dans le sein du Troupeau même qu’on puise le sujet entier d’une Églogue intéressante.
Madame Deshouillières qui savait si bien se saisir des images et des idées propres à la Poésie, n’a-t-elle pas écrit avec un grand détail les amours de Grisette ? N’avons-nous pas d’elle encore un Poème tragique et lyrique sur la mort d’un des Amants de cette belle Chatte ? J’ai songé, comme vous croyez bien, Madame, à faire mettre ce Poème en Musique, mais l’ouvrage était assez important pour me rendre difficile sur le choix du Musicien. Ce sont des Chats qui forment toute l’action[110]. J’ai consulté nos Connaisseurs en Musique les plus délicats. Ils m’ont déclaré que le chant des Chats pouvait être rendu exactement par un grand nombre de nos Musiciens modernes, m’assurant qu’ils mettraient ce Poème dans tout son jour.
D’un autre côté, de savants Italiens qui sont de bonne foi, m’ont prouvé que leur Musique devait à bien des égards avoir la préférence, et particulièrement par le Récitatif. Cette dernière raison a pensé emporter la balance : mais comme cet Opéra n’est point de ceux dont la représentation et le succès doivent se renfermer dans une seule nation, et qu’il est destiné au moins à toute l’Europe, j’attends que les deux partis soient d’accord pour me déterminer. Je sais bien des personnes de mérite qui sont dans une grande impatience de voir cette question décidée, et qui certainement ne verront jamais d’autre Opéra nouveau que celui-ci. Imaginez-vous, Madame, combien le ballet en sera brillant et varié, étant exécuté par des Chats. Ces nouveaux Danseurs par leur légèreté extraordinaire caractériseront le merveilleux de l’Opéra bien mieux sans comparaison que les vols, les chars, et les trappes dont on aperçoit toujours la mécanique[111].
J’ai l’honneur d’être, etc.
Si jamais, Madame, il était établi de déterminer son choix à une seule espèce de Chats, les noirs auraient sans difficulté la préférence. Les Chats noirs sont ceux dont la nature a toujours été le plus avare ; elle semble ne nous en montrer quelquefois que pour nous prouver qu’elle a le secret d’en faire. Il y a toute apparence que les Chattes qui se piquent de beauté, sont de cette couleur, ou tâchent du moins d’en être. J’ai remarqué qu’elles étaient extrêmement courues par toute sorte de Chats. Elles ont apparemment à leurs yeux ce piquant qui est le partage des Brunes dans toutes les espèces, et pourraient bien se faire honneur de ces Vers de M. de Fontenelle, dont les Brunes ont été si flattées.
Brunette fut la gentille femelle,
Qui charma tant les yeux de Salomon,
Et renversa cette forte cervelle,
Où la sagesse avait pris le timon.
Qui dit Brunette, il dit spirituelle,
Et vive au moins comme un petit Démon.
Et s’il vous plaît tous ces jolis visages,
Qui de la Grèce affolèrent les Sages,
Qui comme oisons les menaient par le bec ;
Qui croyez-vous que ce fussent ? Brunettes
Aux beaux yeux noirs, et qui dans leurs goguettes,
Disaient, Dieu sait gentillesses en Grec ;
Autre Brunette aujourd’hui me tourmente,
Moi Philosophe, ou du moins Raisonneur,
Et qui pouvais acquérir tout l’honneur
Et tout l’ennui d’une âme indifférente.
Or vous, Messieurs, qui faites vanité
Des tristes dons de l’austère sagesse ;
Quand vous verrez Brunettes d’un côté,
Allez de l’autre en toute humilité ;
Brunettes sont l’écueil de votre espèce.
Il est vrai que la couleur noire nuit beaucoup aux Chats dans les esprits vulgaires ; elle fait sortir davantage le feu de leurs yeux : c’est assez pour les croire au moins sorciers[112], mais en récompense ce même aspect t à leurs façons d’agir charmantes, est pour les gens de bon sens une image naïve de ces peuples venus de l’Afrique, dont le teint rembruni leur donnait un abord sauvage, et qui cependant dès qu’ils furent maîtres de l’Espagne, semblaient n’en avoir fait la conquête que pour y transporter la politesse et la galanterie.
Feu Madame de La Sablière fournit à cet égard un exemple bien remarquable. Elle avait é une partie de sa vie au milieu d’un nombre de Chiens. Un beau jour ses amis furent très étonnés de les trouver tous exilés, et de voir à leur place une troupe de Chats noirs triomphants. On lui demanda la cause de cette révolution ; elle avoua qu’ayant éprouvé qu’on s’attachait avec ion aux Chiens ce qui lui paraissait très déraisonnable, elle s’était déterminée à n’avoir que des animaux dont le commerce ne mène pas plus loin qu’on ne veut. Quelle guide que la prudence humaine ! C’était les Chats ; et les noirs encore qu’elle avait choisis. Il est vrai qu’elle réussit d’abord à rompre son premier attachement, mais ce ne fut que pour en reprendre un cent fois plus tendre et plus durable. Sans cesse environnée et occupée de ces Chats, livrée de plus en plus à un enchantement qu’elle n’avait pas prévu : amusements, ions, tout leur devint subordonné. Elle ne voulut plus ettre dans son intimité qu’eux, et Monsieur de La Fontaine ; et cette liaison agréable a duré jusqu’à sa mort.
Entre ces Chats rares, ce siècle-ci en a produit un dans lequel on retrouve à un degré de ressemblance étonnant, ce commerce séduisant de Zegris et des Abénecrages. Comme eux il a un goût infini pour les Fêtes. Amateur des promenades, et en même temps ennemi de cette tristesse que l’hiver répand sur la nature, il s’est choisi une galerie où il jouit d’un printemps éternel. C’est une Orangerie. On le voit respirant les parfums, et s’égarant à travers les branches et les fleurs. Vous jugez bien, Madame, que le théâtre de ses amours ne peut être que
Sous ce berceau qu’amour a fait exprès,
Pour attendrir une inhumaine.
Il y conduit une Chatte tricolore, qui porte un masque noir comme le sien, et qu’il aime avec toute la galanterie et la fidélité de ces vieux temps qu’on nous vante toujours. Cette confiance est bien à sa gloire. Charmant comme il est, avec l’art qu’il a d’attirer les Belles dans un lieu délicieux, où il ne règne qu’un jour sombre, il n’aurait qu’à imaginer des conquêtes, et les faire.
Quelles Chattes si modérées,
S’armeraient de rigueur dans ces nuits éclairées
Par le seul flambeau des amours !
C’était sous un berceau, dans ces belles soirées
Que Clèves, malgré soi, s’occupait de Nemours.
Je n’ai encore exposé que les plus faibles preuves du mérite de cet irable Chat. Une Princesse à qui les Destinées ont fait un don plus précieux par le charme de son esprit que par le rang supérieur qu’elle remplit ; cette grande Princesse, dis-je, le chérit et s’en amuse. Anacréon, à ce prix, n’aurait-il pas jugé avec justice ses talents assez récompensés ?
J’ai l’honneur d’être, etc.
Nous n’avons, Madame, traité encore qu’en ébauche la forme aimable de nos Chats ; c’est une de celles qui font le plus d’honneur à la nature. Ils joignent au maintien solide des Quadrupèdes un agrément et une dextérité donnée à un petit nombre d’espèces. Couverts d’une fourrure veloutée, où la nature s’est jouée à varier des couleurs, ils naissent armés contre l’intempérie des saisons.
C’est une mécanique très curieuse que l’art avec lequel les Chats disposent cette fourrure, pour recevoir ou éviter à leur gré les impressions de l’air ; la découverte que j’en ai heureusement faite, est le fruit d’un grand nombre d’observations.
Quand il règne un air dont les Chats veulent se garantir, j’ai remarqué qu’ils tiennent leur poil couché exactement sur leur peau : ce qui fait connaître que cette tissure devient alors un rempart où les parties du froid ou du chaud glissent sur la superficie ; au lieu que quand la saison est convenable à leur tempérament, on flatte leur sensation. Ils s’ouvrent, pour ainsi dire, aux influences ; ils dilatent leur poil ; ils le hérissent : ce qui donne un libre age à l’air dont ils consentent d’être frappés.
Ces précautions sont sans doute, une suite de la connaissance qu’ils ont des changements du Ciel[114].
Mais supposons que ces relations des Chats avec les Astres soient imaginaires, et ne les regardons que par des faces qui leur sont incontestables ; leurs yeux, par exemple, ont été longtemps l’objet de l’ambition des belles ; on ne pouvait leur donner un éloge plus flatteur, que de leur trouver les yeux Pers, c’est-à-dire, changeants comme ceux des Chats, ou verts, comme on remarque qu’ils les ont communément[115]. Monsieur de La Fontaine dans la Fable des filles Minées, après avoir décrit la dispute de Neptune et de Minerve, au sujet de la Ville d’Athènes, pour caractériser dignement la Déesse, la représente avec ces yeux qui sont le partage des Chats.
Elle emporta le prix et nomma la Cité ;
Athènes offrit ses vœux à cette Déité ;
Pour les lui présenter, on choisit cent pucelles,
Toutes sachant broder, aussi sages que belles.
Les premières portaient force présents divers,
Tout le reste entourait la Déesse aux yeux Pers.
Marot pour frapper d’un seul trait le portrait de Vénus, n’a-t-il pas dit :
Le premier jour que Vénus aux yeux verts.
Le Sire de Coucy si célèbre par ses amours, avoue dans ses Poésies qui sont du temps de Philippe Auguste, que c’est là le charme auquel son cœur a cédé[118].
À ne connaître ces aimables animaux que par tant de qualités dont ils sont doués, ne jugerait-on pas qu’ils jouissent d’une longue vie ? Cependant, tandis qu’un ennuyeux Corbeau voit, selon l’opinion des Anciens, l’espace de six ou sept siècles[122].
Mais sur toutes ces espèces de Chats étrangers, ce sont ceux de Perse, il faut en convenir, qui l’emportent par la beauté. Un fameux voyageur[123] en 1521, enrichit l’Italie de cette nouvelle race ; présent qu’elle conserva avec tant de soin et de jalousie, que ce ne fut qu’après un siècle presque révolu, que ces beaux Chats furent transportés en . Elle en a l’obligation au célèbre Monsieur Ménard qui apporta de Rome une Chatte, sur la mort de laquelle il a fait un Sonnet bien digne d’illustrer sa Muse, comme il est arrivé.
SONNET.
C’est grand dommage que ma Chatte,
Aille au pays des Tréés ;
Pour se garantir de sa patte,
Jamais Rat ne courut assez ;
Elle fut Matrone Romaine,
Et fille de nobles aïeux ;
Mon Laquais la prit sans mitaine,
Près du Temple de tous les Dieux :
J’aurai toujours dans la mémoire
Cette peluche blanche et noire,
Qui la fit irer de tous ;
Dame Cloton l’a maltraitée,
Pour plaire aux Souris de chez nous
Qui l’en avaient sollicitée.
Il n’est pas étonnant que Monsieur Ménard ait regretté si tendrement sa Chatte ; elle était sans doute, les délices de sa solitude, et l’appui de sa philosophie, lorsqu’il composa ces vers qui caractérisent si bien ses mœurs et son esprit :
Las d’espérer et de me plaindre
De l’amour, des Grands, et du fort,
C’est ici que j’attends la mort,
Sans la désirer ni la craindre.
Mais quels avantages n’ont point été occasionnés par les Chats ? Une des plus célèbres Maisons de l’Angleterre leur doit sa richesse et son illustration. Richard Whittington dans sa grande jeunesse, dépourvu de tous les biens de la fortune, mais né avec d’excellentes inclinations, voulut aller dans l’Inde chercher une plus heureuse destinée. Il se présenta comme ager pour s’embarquer. On lui demanda avec quels secours il comptait de vivre dans le trajet : il répondit qu’il n’avait pour toute richesse qu’un Chat, et le désir de se signaler. On fut touché de cette franchise noble avec laquelle il exposait sa situation. On le reçut lui et son Chat, et le vaisseau fit voile. Comme ils étaient dans les mers de l’Inde, une tempête les surprit, et les fit échouer sur une côte, où bientôt les naturels du pays s’emparèrent de leur navire et de leurs personnes. Le jeune Anglais portant son trésor entre ses bras fut conduit comme les autres, devant le Roi de ces peuples, et tandis qu’ils étaient à son audience, ils aperçurent un nombre immense de Souris et de Rats, qui parcouraient le Palais, et s’attroupaient jusques sur le trône du Monarque qui en paraissait très ennuyé. Whigtington reconnut la voix de la fortune qui l’appelait. Il ne fit que laisser aller son Chat, et voilà un monde de Souris et de Rats étranglé, et le reste mis en fuite. Le Roi charmé de l’espoir d’être bientôt délivré du fléau qui désolait ses États, entra dans des transports de reconnaissance qu’il ne savait comment exprimer assez vivement. Il embrassait tantôt ce Chat libérateur, et tantôt le jeune Anglais et pour accorder à l’un et à l’autre de dignes marques de sa reconnaissance, il déclara Whigtington son favori, et donna à ce merveilleux Chat le titre de Généralissime de ses Armées, n’ayant eu jusque-là d’ennemis à combattre que cette immensité de Souris et de Rats qui l’assiégeaient sans cesse.
Whigtington soutenu par la considération que lui donnait le Chat son émule, surmonta toutes les cabales de la Cour. Il gouverna plusieurs années cet Empire ; enfin gagné par l’amour de sa patrie, il obtint la liberté d’y retourner. Le Monarque, en échange du Général Chat qui lui fut laissé, lui donna un navire chargé de richesses. À peine le jeune Anglais fut-il de retour en Angleterre, qu’il y fut élevé à la dignité de Maire de Londres[124], dans ce nouveau rang, pour donner des témoignages publics de la reconnaissance qu’il devait aux Chats. Il en prit le nom. Il fut appelé Mylord Gat. Ses descendants ont succédé aux honneurs de cette dénomination ; ses images sont encore répandues en plusieurs endroits de Londres : on le voit pompeusement représenté dans les enseignes, portant en triomphe sur l’épaule ce Chat auquel il fut redevable de son bonheur et de sa gloire.
M. Bayle[125], à l’occasion de la reconnaissance qu’on doit aux Animaux des services qu’ils nous rendent, rappelle le Testament d’une Mademoiselle Dupuy, témoignage bien sensible des obligations qu’elle croyait avoir à son Chat. Mademoiselle Dupuy avait le talent de jouer de la harpe à un degré surprenant, et c’était à son Chat qu’elle devait l’excellence où elle était parvenue. Il l’écoutait attentivement chaque fois qu’elle s’exerçait sur sa harpe et elle avait remarqué en lui des degrés d’intérêt et d’attendrissement, à mesure que ce qu’elle exécutait avait plus ou moins de précision et d’harmonie. Elle s’était formé par cette étude un goût qui lui avait acquis une réputation universelle.
À sa mort elle voulut donner à son Chat une marque convenable de sa reconnaissance ; elle fit un Testament en sa faveur ; elle lui légua une habitation très agréable à la Ville, et une à la Campagne. Elle y joignit un revenu plus que suffisant pour satisfaire à ses besoins et à ses goûts ; et afin que ce bien-être lui fût fidèlement procuré, elle légua en même temps à plusieurs personnes de mérite des pensions considérables, à condition qu’elles veilleraient sur les revenus de cet aimable légataire, et qu’elles iraient une quantité de fois marquées par semaine lui tenir compagnie. Ce Testament fut attaqué. Les plus fameux Avocats se partagèrent, et écrivirent. J’ai fait inutilement jusques à présent les recherches les plus exactes pour trouver les Factums qui furent faits sur cette importante affaire. Il se perd comme cela tous les jours des ouvrages aussi curieux qu’intéressants, dont il est bien injuste que le public se trouve privé.
J’ai l’honneur d’être, etc.
Les Chats considérés tels qu’ils sont aujourd’hui.
Nos Lettres précédentes, Madame, ont dévoilé les fastes des Chats d’une façon qui, je crois, paraîtra satisfaisante à ceux qui, comme nous, reconnaissent leur mérite. Mais croyez-vous qu’elle fasse assez d’impression sur les personnes prévenues contre eux ? Nous avons bien des sortes d’adversaires à combattre. Il y a des esprits sévères qui affectent le pyrrhonisme de l’histoire, et qui nous nieront sans aucune pudeur les faits que nous aurons avancés sur la foi de la respectable antiquité. D’autres qui sont esclaves des préjugés de leur enfance, accoutumés à manquer d’égard pour les Chats, apprendront, sans en être touchés, toute leur gloire ée. Il n’y a qu’un parti à prendre, Madame, c’est d’examiner l’espèce chatte telle qu’elle est aujourd’hui isolée et considérée en elle-même. Vous m’avez donné bien des lumières à cet égard, dont il est temps de faire usage. Transportons-nous d’abord dans une région supérieure à celle des Animaux terrestres ; c’est là que nous trouverons les Chats dans un repos et dans une abondance qu’ils ne tiennent point des hommes. Pourra-t-on alors ne pas reconnaître que c’est par pure courtoisie que les Chats veulent bien commercer avec nous ? Libres dans le choix de leur séjour, ils habitent au gré de leur ambition ou de leur philosophie, les portiques du Monarque, ou le simple toit du Citoyen. Il ne leur coûte ni complaisance, ni soin de plaire, pour en obtenir l’accès ; leur légèreté et leur souplesse leur ouvre, pour ainsi dire, un chemin dans les airs : c’est donc sur la superficie des Villes que les Chats peuplent une Ville particulière : c’est là qu’ils forment une espèce de République qui s’entretient et fleurit par ses propres forces. Les combles des maisons ne sont remplis que d’Animaux qui semblent n’être faits, et ne se reproduire que pour leur subsistance ; ainsi, sans aucun secours humain, il n’y a point de Chat qui, déduction faite du temps qu’il donne à sa paresse ou à ses amours, ne trouve abondamment tout ce qui peut le rendre heureux. Et avec quelle économie ne jouissent-ils pas du bien-être ? Ils ennoblissent les besoins de la vie, en les accompagnant des dehors de la liberté et du plaisir ; ils commencent par se faire un spectacle de la Souris, qui va devenir leur proie : ce n’est que le progrès du besoin qui les détermine enfin à se la sacrifier. Les Chats dans leur agilité et dans leurs griffes portent donc, si j’ose m’exprimer ainsi, et leur fortune et leur Patrie[126].
C’est du sein d’une si heureuse indépendance qu’ils descendent dans nos habitations. Eh, sous quels auspices encore ? Avec quels agréments viennent-ils s’y produire ? L’enjouement le plus aimable, les attitudes fines et variées, dont l’imitation fit autrefois la gloire des plus célèbres Pantomimes ; voilà les talents avec lesquels ils naissent, et qu’ils apportent parmi nous : aussi ne sont-ce point des Maîtres qu’ils viennent y chercher ? Nés dans une condition heureuse, toujours libres d’y rester, rien ne les conduit à la servitude. Ce n’est que pure tendresse pour les hommes, convenances, rapports d’humeur, qui fait que nous sommes assez heureux pour les posséder ; cent fois plus estimables à cet égard que l’espèce chienne, que bien des gens cependant n’ont pas honte d’élever au-dessus d’eux. Les Chiens ne s’attachent à nous, que parce qu’ils mourraient sans notre secours. Qu’on les examine bien ; humiliés par la bassesse de leur condition, il n’y a sorte d’affronts, de mauvais procédés qu’ils n’endurent. Quelle différence ! Dans le Chien le plus parfait on ne trouve qu’un esclave fidèle ; dans son Chat on possède un ami amusant, dont l’attachement n’a rien que de volontaire ; dont tous les moments qu’il vous donne sont autant de sacrifices de cette liberté et de cette souplesse qui ne bornent ni son séjour, ni ses inclinations[127].
Mais il faut encore les envisager par des qualités bien supérieures. Pour peu qu’on fasse l’analyse de leurs sentiments, si j’ose m’exprimer ainsi, quelle élévation n’y découvre-t-on pas ? Rien ne les étonne ; rien ne leur en impose. Tout ce qui s’agite devient pour eux un objet de badinage. Ils croient que la nature ne s’occupe que de leur divertissement. Ils n’imaginent point d’autre cause du mouvement ; et quand par nos agaceries nous excitons leurs postures folâtres, ne semble-t-il pas qu’ils n’aperçoivent en nous que des Pantomimes, dont toutes les actions sont autant de bouffonneries ? Ainsi de part et d’autre on se donne la comédie ; et nous divertissons, tandis que nous croyons n’être que divertis.
Cette gaieté si naturelle aux Chats me fait souvenir de ce qu’on lit de ces Rois du Turquestan[128], qui ne se montraient jamais à leurs sujets, ni à leurs ennemis qu’avec des dehors de cette joie qui part du fond de l’âme, et qui regardant ce bien comme le premier de tous, prenaient par excellence le titre de Prince qui n’est jamais triste.
Un Chat se lasse-t-il du tumulte des Villes, les campagnes lui présentent une nouvelle patrie, où la nature semble avoir prévu tous ses besoins. Eh ! que n’a-t-elle point fait pour lui cette nature ? Est-il un animal plus heureusement constitué ? On n’aperçoit jamais d’altération dans sa santé ; exempt de toute inquiétude, on ne le voit point s’embarrasser des soins du lendemain. Quel avantage sur les autres Animaux ! La Prévoyance, toute estimable qu’elle a droit de nous paraître, n’en est pas moins fille de la crainte ; elle est une de ces vertus qui supposent la misère de l’état de celui qui la possède. Un Chien environné de tout ce que sa voracité lui rend de plus précieux, ne jouit pas de cette quiétude qui constitue le vrai bonheur ; à l’instant même de sa satisfaction, il sent son indigence prochaine ; il va cacher avec défiance une partie de sa richesse. Le Chat maître de sa situation, goûte dans le sein de l’abondance, le plaisir pur de la tranquillité ; son adresse et sa sobriété lui sont des garants toujours certains d’un avenir agréable.
On ne saurait leur reprocher, comme on ferait avec justice aux Chiens, que leur commerce nous coûte des soins et de la contrainte ; Philosophes dans le choix de leur habitation, il n’est aucun endroit d’une maison qui ne leur paraisse une retraite agréable. L’heure des repas leur est indifférente ; dans les intervalles on ne craint point qu’assujettis à la soif, la rage les fasse devenir l’effroi et la destruction d’une famille qui les a élevés dans ses bras ; ils n’y apportent pas même la moindre incommodité. C’est par un murmure doux, et qui semble n’être qu’une agacerie d’amitié, qu’ils s’expliquent avec nous ; ils ménagent ainsi, avec autant d’art que de prudence, cette voix à laquelle ils donnent un essor si éclatant, quand ils se retrouvent dans cette région où les hommes n’osent aller les troubler ; on peut enfin ne s’occuper d’eux que pour s’en am. Les Chiens heureux seulement parce qu’ils sont nos esclaves, nous vendent cependant leur servitude, et l’inutilité dont ils sont dans les Villes ; ils multiplient nos soins domestiques. Les Chats possesseurs d’un bien-être qui n’attend rien de nous, délivrent nos maisons des animaux qui les détruisent[130].
S’ils étaient susceptibles d’amour-propre, dans quels Animaux serait-il plus pardonnable ? À examiner le jeu et l’harmonie qu’il y a dans tous leurs membres, ne semble-t-il pas que la nature a donné une attention particulière à leur construction ? Elle leur a fait un avantage qui réussit toujours chez les hommes ; c’est d’avoir ce qu’on appelle une physionomie. L’ensemble de leurs traits qui porte un caractère de finesse et d’hilarité, et particulièrement leurs moustaches sont des dons qu’ils ne peuvent avoir reçus qu’à titre d’agréments. Le brillant dans les yeux si estimé encore parmi les hommes, est assurément prodigué à l’espèce chatte[131]. Nos yeux à nous n’ont d’autre faculté que de nous faire apercevoir les objets par le secours de la lumière, et nous deviennent purement inutiles partout où elle n’existe plus. Ceux des Chats portent avec eux la lumière même. Le Soleil ou les clartés artificielles dont nous avons un besoin indispensable dans presque toutes nos actions, ne sont pour eux qu’un spectacle ; et tandis qu’arrêtés souvent dans nos projets les plus intéressants, nous nous impatientons jusqu’à temps que l’obscurité cesse, les Chats amants s’entr’aperçoivent clairement dans la gouttière ; et plus heureux que nous, leurs yeux en cherchant l’objet qu’ils aiment, leur suffisent pour le découvrir.
Ces qualités lumineuses sont si dignes d’attention, qu’elles ont mérité un éloge dans le livre d’un de nos plus célèbres Académiciens des Sciences[133], du titre de phosphores naturels ; cette remarque fera connaître aux siècles à venir que les Chats n’étaient pas inutiles dans les Académies, et qu’ils y concouraient à la perfection des Sciences.
Examinons à présent leur caractère. Il est dangereux, si l’on en croit l’opinion vulgaire ; et cette erreur, quelque honte qu’elle fasse à notre jugement, se trouve adoptée même par des personnes de bon sens : on ne doit point s’en étonner ; les gens d’esprit sont peuples à bien des égards. C’est l’ouvrage d’une certaine portion de paresse, qui reste toujours dans ceux même qui ont le plus de penchant à s’instruire ; et quelques-uns d’ailleurs ne se reprochent guère leur crédulité, quand leur vanité n’est point blessée de croire.
Comme nous avons déjà établi que les Chats sont capables d’attachement et de prévenances dans la conduite qu’ils gardent avec les hommes, pour peu que nous entrions dans le détail, nous prouverons encore qu’ils ont toute la délicatesse de l’amitié : mais on nous contestera que cette amitié soit constante, et qu’on puisse compter sur elle ; on ne manquera pas de se récrier contre leur patte égratignante. C’est donc cette griffe tant reprochée dont il s’agit de faire connaître la candeur et l’innocence ; examinons d’abord sa forme : elle est si aiguë, et exige des Chats une si grande attention, une dextérité si parfaite pour ne point gripper, que les gens qui raisonnent le moins, en conviennent, quand ils disent que les Chats font patte de velours. Cette façon de parler qui paraît n’être qu’un rébus, est cependant une analyse très fine de l’adresse irable avec laquelle il faut qu’un Chat se serve de sa patte pour que ses ongles n’égratignent point. Voilà donc les Chats dans une perpétuelle contrainte ; et de quelle espèce encore ? Contrainte qui demande une étude d’autant plus gênante, qu’elle dérange absolument l’ordre et l’action naturelle des ressorts de sa machine. C’est donc dans une retenue, dans une attention continuelle que les Chats vivent avec nous. Pour peu qu’on ouvrît les yeux sur cette situation, oserait-on ne pas sentir, ne pas avouer que l’attachement des Chats est le plus flatteur et le plus tendre que nous puissions inspirer ? Il est vrai que dans le cours de sa vie, un Chat aura peut-être une douzaine de distractions : sa griffe reprendra malgré lui le jeu qui lui est imposé par la nature ; encore ne sera-ce que le transport d’une joie involontaire, l’égratignure d’ailleurs ne tombant jamais que sur des mains méfiantes ; cependant voilà les esprits qui se révoltent : on ne lui tient plus aucun compte de sa vertu ée : on se déchaîne : on oublie tout ce qu’il en coûte à un Chat, pour ne vous pas égratigner plus souvent. Quelle injustice ! Quelle ingratitude ! Un ami amusant, délicat a é sa vie à se contraindre pour vous, et vous ne pardonnerez pas à son amitié quelques moments de distraction ? La société pourrait-elle s’entretenir parmi les hommes, s’ils regardaient avec la même sévérité, avec cet esprit pointilleux, les coups de griffe, (si je puis m’exprimer ainsi) qu’ils s’entredonnent et presque toujours volontairement, dans le cours de leur liaison et même de leur amitié ? Ce petit manque d’égalité dans la conduite des Chats, loin de nous indisposer contre eux, est une morale en action qui devrait ne nous les faire envisager que comme des animaux autant capables de nous instruire que de nous am.
Tranquillisons-nous, Madame ; nous verrons un jour le mérite des Chats généralement reconnu. Il est impossible que dans une nation aussi éclairée que la nôtre, la prévention, à cet égard, l’emporte longtemps encore sur un sentiment aussi raisonnable. N’en doutez point, dans les sociétés, aux spectacles, aux promenades, au Bal, dans les Académies même, les Chats seront reçus ou plutôt recherchés. Il est impossible qu’on ne parvienne point à sentir que dans son Chat on possède un ami de très bonne compagnie, un Pantomime irable, un Astrologue né, un Musicien parfait, enfin l’assemblage des talents et des grâces ; mais nous ne pouvons encore déterminer bien précisément quand arrivera ce siècle qui sera, si légitimement comparé au siècle d’or : il faudra que la raison ait détruit l’ouvrage du préjugé, et les progrès de la raison ne sont point rapides, aux ménagements qu’elle garde avec les hommes, quand elle les conduit. Il semble qu’elle craigne de leur faire apercevoir que c’est elle qui les entraîne ; cela est bien humiliant pour l’humanité, et bien contraire aux intérêts des Chats.
J’ai l’honneur d’être, etc.
Maintenant le vivre me fâche ;
Et afin, Magny, que tu saches,
Pourquoi je suis tant éperdu,
Ce n’est pas pour avoir perdu
Mes anneaux, mon argent, ma bourse ;
Et pourquoi est-ce donc ? pour ce
Que j’ai perdu depuis trois jours
Mon bien, mon plaisir, mes amours.
Et quoi ? ô souvenance grave !
À peu que le cœur ne me crève,
Quand j’en parle, ou quand j’en écris :
C’est Belaud mon petit Chat gris :
Belaud, qui fut par aventure
Le plus bel œuvre que Nature
Fit jamais en matière de Chats :
C’était Belaud la mort aux Rats,
Belaud, dont la beauté fut telle,
Qu’elle est digne d’être immortelle.
Donc Belaud premièrement
Ne fut pas gris entièrement,
Ni tel qu’en on les voit naître ;
Mais tel qu’à Rome on les voit être.
Couvert d’un poil gris argentin,
Ras et poli comme satin,
Couché par ondes sur l’échine,
Et blanc dessous comme une hermine :
Petit museau, petites dents,
Yeux qui n’étaient point trop ardents ;
Mais desquels la prunelle perse,
Imitait la couleur diverse
Qu’on voit en cet arc pluvieux
Qui se courbe au travers des Cieux.
La tête à la taille pareille,
Le col grasset, courte l’oreille,
Et dessous un nez ébenin,
Un petit mufle léonin,
Autour duquel était plantée
Une barbelette argentée,
Armant d’un petit poil follet
Son musequin damoisellet.
Jambe grêle, petite patte,
Plus qu’une moufle délicate ;
Sinon alors qu’il dégainait
Cela, dont il égratignait :
La gorge douillette et mignonne,
La queue longue à la guenonne,
Mouchetée diversement
D’un naturel bigarement :
Le flanc haussé, le ventre large,
Bien retroussé dessous sa charge,
Et le dos moyennement long,
Vrai fourian, s’il en fut jamais.
Tel fut Belaud, la gente Bête
Qui des pieds jusques à la tête,
De telle beauté fut pourvu,
Que son pareil on n’a point vu.
Ô quel malheur ! ô quelle perte,
Qui ne peut être recouverte !
Ô quel deuil mon âme en reçoit !
Vraiment la mort, bien qu’elle soit
Plus fière qu’un ours, l’inhumaine,
Si de voir, elle eût pris la peine,
Un tel Chat, son cœur endurci
En eût eu, ce crois-je, merci.
Et maintenant ma triste vie
Ne haïrait de vivre l’envie.
Mais la cruelle n’avait pas
Goûté les folâtres ébats
De mon Belaud, ni la souplesse
De la gaillarde gentillesse :
Soit qu’il sautât, soit qu’il grattât,
Soit qu’il tournât, ou voltigeât
D’un tour de Chat, ou soit encore
Qu’il prît un Rat, et or et ores
Le relâchant pour quelque temps
S’en donnât mille e-temps.
Soit que d’une façon gaillarde
Avec sa patte frétillarde,
Il se frottât le musequin ;
Ou soit que ce petit coquin
Privé sautelât sur ma couche,
Ou soit qu’il ravît de ma bouche
La viande sans m’outrager,
Alors qu’il me voyait manger ;
Soit qu’il fît en diverses guises
Mille autres telles mignardises.
Mon Dieu ! quel e-temps c’était
Quand ce Belaud virevoltait,
Folâtre autour d’une pelote ?
Quel plaisir, quand sa tête sotte
Suivant sa queue en mille tours,
D’un rouet imitait le cours !
Ou quand assis sur le derrière
Il s’en faisait une jarretière,
Et montrant l’estomac velu,
De panne blanche crêpelu,
Semblait, tant sa trogne était bonne,
Quelque Docteur de la Sorbonne ;
Ou quand alors qu’on l’animait,
À coups de patte il escrimait,
Et puis apaisait sa colère,
Tout soudain qu’on lui faisait chère.
Voilà, Magny, les e-temps,
Où Belaud employait son temps ;
N’est-il pas bien à plaindre donc ?
Au demeurant tu ne vis jamais
Chat plus adroit, ni mieux appris
À combattre Rats et Souris.
Belaud savait mille manières
De les surprendre en leurs tanières,
Et lors leur fallait bien trouver
Plus d’un pertuis, pour se sauver ;
Car onques Rat, tant fût-il vite
Ne se vit sauver à la fuite
Devant Belaud ; au demeurant
Belaud n’était pas ignorant :
Il savait bien, tant fut traitable,
Prendre la chair dessus la table,
J’entends, quand on lui présentait,
Car autrement il vous grattait,
Et avec la patte friande
De loin muguetait la viande.
Belaud n’était point malplaisant,
Belaud n’était point malfaisant,
Et ne fit jamais plus grand dommage
Que de manger un vieux fromage,
Une linotte et un pinson
Qui le fâchaient de leur chanson ;
Mais quoi, Magny, nous-mêmes hommes
Parfaits de tous points nous ne sommes.
Belaud n’était point de ces Chats,
Qui nuit et jour vont au pourchats,
N’ayant souci que de leur panse :
Il ne faisait si grande dépense,
Mais était sobre à son repas
Et ne mangeait que par compas.
Aussi n’était-ce sa nature
De faire partout son ordure,
Comme un tas de Chats, qui ne font
Que gâter tout par où ils vont.
Car Belaud, la gentille bête,
Si de quelque acte moins qu’honnête,
Contraint, possible il eût été,
Avait bien cette honnêteté
De cacher dessous de la cendre
Ce qu’il était contraint de rendre.
Belaud me servait de jouet,
Belaud ne filait au rouet,
Grommelant une litanie
De longue et fâcheuse harmonie ;
Ains se plaignait mignardement
D’un enfantin miaulement.
Belaud (que j’aie souvenance)
Ne me fit jamais plus grande offense
Que de me réveiller la nuit,
Quand il entroyait quelque bruit
De Rats qui rongeaient ma paillasse :
Car lors il leur donnait la chasse,
Et si dextrement les happait,
Que jamais un n’en échappait ;
Mais, las, depuis que cette fière
Tua de sa dextre meurtrière
La sûre garde de mon corps,
Plus en sûreté je ne dors :
Et or, ô douleurs nonpareilles !
Les Rats me mangent les oreilles :
Même tous les vers que j’écris,
Sont rongés de Rats et Souris.
Vraiment les Dieux sont pitoyables
Aux pauvres humains misérables,
Toujours leur annonçant leurs maux,
Soit par la mort des animaux,
Ou soit par quelqu’autre présage,
Des Cieux le plus certain message.
Le jour que la sœur de Cloton
Ravit mon petit peloton,
Je dis, j’en ai bien souvenance,
Que quelque maligne influence
Menaçait mon chef de là-haut,
Et c’était la mort de Belaud :
Car quelle plus grande tempête
Me pouvait foudroyer la tête !
Belaud était mon cher mignon,
Belaud était mon compagnon,
À la chambre, au lit, à la table ;
Belaud était plus accointable
Que n’est un petit Chien friand,
Et de nuit n’allait point criant
Comme ces gros Marcoux terribles,
En longs miaulements horribles :
Aussi le petit Mitouard
N’entra jamais en Matouard :
Et en Belaud, quelle disgrâce !
De Belaud s’est perdu la race.
Que plaît à Dieu, petit Belon,
Que j’eusse l’esprit assez bon,
De pouvoir en quelque beau style
Blasonner ta grâce gentille,
D’un vers aussi mignard que toi :
Belaud, je te promets ma foi,
Que tu vivrais, tant que sur terre
Les Chats aux Rats feront la guerre.
Par Dubellay, Gentilhomme
Angevin. 1568.
* * *
Quelle carrière pour découvrir des sujets de morale, que la conduite des Chats ! M. de La Fontaine a-t-il besoin de peindre un beau naturel que les occasions séduisantes peuvent corrompre ? Veut-il nous mettre en garde contre nous-mêmes, quoique nous suivions le sentier de la vertu ? Un Chat lui fournit le sujet de son apologie.
FABLE
À M. LE DUC DE BOURGOGNE
Un Chat contemporain d’un fort jeune Moineau,
Fut logé près de lui dès l’âge du berceau,
La cage, le panier avaient mêmes Pénates ;
Le Chat était souvent agacé par l’Oiseau ;
L’un s’escrimait du bec, l’autre jouait des pattes ;
Ce dernier toutefois épargnait son ami,
Ne le corrigeait qu’à demi :
Il se fut fait un grand scrupule
D’armer de pointes sa férule ;
Le ereau moins circonspect,
Lui donnait force coups de bec ;
En sage et discrète personne
Maître Chat excusait ces jeux.
Entre amis il ne faut jamais qu’on s’abandonne
Aux traits d’un courroux sérieux ;
Comme ils se connaissent tous deux dès leur bas âge,
Une longue habitude en paix les maintenait,
Jamais en vrai combat le jeu ne se tournait :
Quand un Moineau du voisinage
S’en vint les visiter, et se fit compagnon
Du pétulant Pierot et du sage Raton ;
Entre les deux oiseaux il arriva querelle,
Et Raton de prendre parti ;
Cet inconnu, dit-il, nous la vient donner belle,
D’insulter ainsi notre ami :
Le Moineau du Voisin viendra manger le nôtre ?
Non de par tous les Chats ; entrant lors au combat
Il croque l’étranger ; vraiment, dit maître Chat,
Les Moineaux ont un goût exquis et délicat ;
Cette réflexion fit aussi croquer l’autre.
Quelle morale puis-je inférer de ce fait ?
Sans cela toute fable est un œuvre imparfait,
J’en crois voir quelques traits ; mais leur ombre m’abuse,
Prince, vous les aurez incontinent trouvés ;
Ce sont des jeux pour vous, et non pas pour ma Muse,
Elle et ses sœurs n’ont pas l’esprit que vous avez.
FABLE.
POÉSIES DU CHEVALIER DE S. GILLES.
Il n’est rien tel que d’avoir de l’esprit,
Dit un Renard ; pour moi, sans contredit,
J’en ai bien plus qu’aucune autre pécore,
Et sans mentir je puis compter encore
Deux cents bons tours que j’ai mis par écrit ;
Moi, dit le Chat, j’en sais pour mon profit
Un merveilleux que ma mère m’apprit ;
Content du mien, tous les autres j’ignore ;
Il n’est rien tel.
Dans ces instants l’un et l’autre entendit
Un bruit de Chiens, l’un et l’autre partit,
Le Matou grimpe au haut d’un Sycomore,
L’autre est en proie au Chien qui le dévore :
Point de finesse où le bon sens suffit.
CHAT DE MAD. LA MARQUISE DE MONGLA
À GRISETTE,
CHATTE DE MADAME DESHOUILLIÈRES.
J’ai reçu votre compliment ;
Vous vous exprimez noblement,
Et je vois bien dans vos manières
Que vous méprisez les gouttières.
Que je vous trouve d’agréments !
Jamais Chatte ne fut si belle ;
Jamais Chatte ne me plut tant :
Pas même la Chatte fidèle
Que j’aimais uniquement.
Quand vous m’offrez votre tendresse,
Me parlez-vous de bonne foi ?
Se peut-il que l’on s’intéresse
Pour un malheureux comme moi ?
Hélas ! que n’êtes-vous sincère ?
Que vous me verriez amoureux !
Mais je me forme une chimère ;
Puis-je être aimé ? puis-je être heureux ?
Vous dirai-je ma peine extrême ?
Je suis réduit à l’amitié,
Depuis qu’un jaloux sans pitié
M’a surpris aimant ce qu’il aime.
Épargnez-moi le récit douloureux
De ma honte et de sa vengeance ;
Plaignez mon destin rigoureux.
Plaindre les maux d’un malheureux
Les soulage plus qu’on ne pense ;
Ainsi je n’ai plus de plaisirs.
Indigne d’être à vous, belle et tendre Grisette,
Je sens plus que jamais la perte que j’ai faite,
En perdant mes désirs,
Perte d’autant plus déplorable
Qu’elle est irréparable.
Comment osez-vous me conter
Les pertes que vous avez faites ?
En amour c’est mal débuter,
Et je ne sais que moi qui voulût écouter
Un pareil conteur de fleurettes.
Ha ! fi (diraient nonchalamment
Un tas de Chattes précieuses)
Fi, mes chères, d’un tel amant ;
Car si j’ose, Tata, vous parler librement,
Chattes aux airs penchés sont les plus amoureuses.
Malheur chez elles aux Matous
Aussi disgraciés que vous.
Pour moi qu’un heureux sort fit naître tendre et sage,
Je vous quitte aisément des solides plaisirs ;
Faisons de notre amour un plus galant usage :
Il est un charmant badinage,
Qui ne tarit jamais la source des désirs.
Je renonce pour vous à toutes les gouttières,
Où (soit dit en ant) je n’ai jamais été ;
Je suis de ces Minettes fières,
Qui donnent aux grands airs, aux galantes manières.
Hélas ! ce fut par là que mon cœur fut tenté,
Quand j’appris ce qu’avait conté
De vos appâts, de votre adresse
Votre incomparable Maîtresse.
Depuis ce dangereux moment,
Pleine de vous autant qu’on le peut être,
Je fis dessein de vous faire connaître
Par un doucereux compliment
L’amour que dans mon cœur ce récit a fait naître.
Vous m’avez confirmé par d’agréables vers
Tout ce qu’on m’avait dit de vos talents divers.
Malgré votre juste tristesse,
On y voit, cher Tata, briller un air galant,
Les miens répondront mal à leur délicatesse :
Écrire bien n’est pas notre talent ;
Il est rare, dit-on, parmi les hommes même.
Mais de quoi vais-je m’alarmer ?
Vous y verrez que je vous aime,
C’est assez pour qui sait aimer.
Grisette, avec raison je suis charmé de vous,
Vous avez de l’esprit plus que tous les Matous ;
Jamais, à ce qu’on dit, Chatte ne fut mieux faite :
Mais ceci soit dit entre nous,
N’êtes-vous point un peu coquette ?
Vous pouvez l’avouer, sans paraître indiscrète.
Le mal n’est pas grand en effet ;
Et, s’il faut tout dire, Grisette,
Moi-même franchement je suis un peu coquet,
Malgré la perte que j’ai faite.
On peut bien sans amour écrire galamment,
Quand on a comme vous tant de belles lumières.
Mais, croyez-moi, pour parler savamment,
Surtout en certaines matières,
Il faut avoir fréquenté les gouttières ;
On ne devient pas habile autrement.
Après tout, c’est une faiblesse
À nous de n’oser coqueter :
Sur ce point pourquoi nous flatter ?
Les Matous coquettent sans cesse,
C’est là leur vrai talent ; à quoi bon le cacher ?
Il n’est point de Chatte Lucrèce,
Et l’on ne vit jamais de prude en notre espèce ;
Cela soit dit sans vous fâcher.
Coquetons, cherchons à nous plaire,
Puisque le sort le veut ainsi ;
En un mot, aimons-nous, nous ne saurions mieux faire ;
Vous avez de l’esprit, j’en ai sans doute aussi ;
Je crois que je suis votre affaire.
Avec moi votre honneur ne court aucun danger,
C’est un malheur dont quelquefois j’enrage,
Et c’est pour vous, Grisette, un petit avantage ?
Car, s’il est vrai que vous soyez si sage,
Je n’aurais pu vous engager.
Ah ! vous m’entendez bien, mais changeons de langage,
Je pourrais vous désobliger.
Eh bien, ma chère Grisette,
Établissons un commerce entre nous ;
Foi de Matou, vous serez satisfaite
Des respects que j’aurai pour vous.
Lorsque j’abandonne pour vous
De charmants, de tendres Matous,
Quand je pense établir une amitié parfaite,
Car c’est tout ce que l’on peut établir entre nous,
Pourquoi m’appelez-vous coquette ?
La réprimande est indiscrète ;
D’une bizarre humeur elle paraît l’effet :
Est-ce, sur le nom de Grisette,
Que vous me soupçonnez d’avoir le cœur coquet ?
Mon nom ne convient pas à l’air dont je suis faite.
Quoi ! pour écrire galamment,
Pour avoir dans l’esprit quelques vives lumières,
Fallait-il assurer qu’on ne peut savamment
Parler sur certaines matières,
Sans avoir couru les gouttières ?
Chats connaisseurs en jugent autrement.
Mais quand même on aurait quelque douce faiblesse,
Est-ce avec vous, hélas ! qu’on voudrait coqueter ;
Vous aimez trop à vous flatter.
Il est temps que votre erreur cesse,
Elle m’outrage enfin, pourquoi vous le cacher ?
S’il n’est point de Chatte Lucrèce,
Il n’est point de Tarquins, Tata, de votre espèce,
Cela soit dit, sans vous fâcher.
Quand un Chat, comme vous, se propose de plaire,
Il devrait en ainsi,
Des jaloux soupçons se défaire,
Et de ses airs grondeurs aussi,
Sans cela, Tata, point d’affaire.
Je ne veux point du tout m’aller mettre en danger
D’entendre tous les jours dire morbleu j’enrage :
Il n’en faudrait pas davantage
Pour me rebuter d’être sage ;
Et souvent par dépit on se peut engager
À quelque bagatelle au-delà du langage,
Ceci soit dit encore, sans vous désobliger.
Adieu, Tata, foi de Grisette,
Mais de Grisette comme nous,
Je ne suis pas plus satisfaite
De votre Lettre que de vous.
Chien du Maréchal de Vivonne.
On aurait bien connu, sans que vous l’eussiez dit,
Que vous êtes sorti de la race cynique ;
L’air dont vous répondez à ce qu’on vous écrit,
En est une preuve authentique ;
Vous ne mordez pas mal ; pour vous rien n’est sacré ;
Devant vous rien ne trouve grâce ;
Vous déchirez tout, et malgré
De vingt siècles le long espace,
Du beau talent de votre race
Vous n’avez point dégénéré :
Mais qu’il soit véritable, ou qu’il soit apocryphe,
Que vous soyez des descendants
De ces Philosophes mordants,
Si vous avez de bonnes dents,
Nous n’avons pas mauvaise griffe ;
Cependant, comme j’aime à n’en jamais ,
Si vous vouliez bien vous défaire
De certaine hauteur qui ne me convient guère,
Je pourrais avec vous quelquefois m’am.
Vous me croyez peut-être une Chatte vulgaire :
Je m’en vais vous désab.
Si pour aïeux vous comptez Diogène,
Cratès, et tous les autres Chiens,
Moi, que vous méprisez, je compte pour les miens
Tous les Dieux dont la Fable est pleine.
Quand les Titans audacieux
Risquèrent follement d’escalader les Cieux,
Le Dieu qui lance le tonnerre,
Incertain du succès d’une insolente guerre,
Voulut que Déesses et Dieux
Quittassent le Ciel pour la terre ;
Dont, soit dit en ant, ils furent tous joyeux :
Entre tous les pays l’Égypte fut choisie.
Là, sous de différentes peaux,
Sous de jolis, de laids museaux,
Se cachèrent un temps les buveurs d’ambroisie.
L’un était Bœuf, l’autre était Ours ;
L’autre d’un beau plumage emprunta la parure :
Une Chatte fut la figure
Que prit la Reine des Amours ;
Et comme elle est bonne Princesse,
Pour éviter oisiveté,
Elle contenta la tendresse
D’un jeune Chat épris de sa beauté,
Tant qu’enfin la belle Déesse
Fit des Chatons en quantité.
C’est de cette source divine
Que je tire mon origine.
Qui de nous deux, Cochon, dites la vérité,
Doit se piquer de qualité ?
Ce discours vous déplaît peut-être.
Parlons de votre esprit, vous en faites paraître
Dans tout ce que vous écrivez.
Mais est-il à vous seul cet esprit qui sait plaire ?
Et ne devez-vous point à votre secrétaire
Tant de brillants endroits si finement trouvés ?
Entre nous, Cochon, je soupçonne
Qu’un tel secrétaire vous donne
Plus d’esprit que vous n’en avez.
Je connais son tour, ses manières
Vives, charmantes, singulières.
Apollon ne fait pas des Vers plus élevés :
Pour moi, je n’ai que mes seules lumières ;
Je vous l’apprends, si vous ne le savez ;
Et que je ne cours point les toits, ni les gouttières :
Jamais cris aigus, scandaleux,
Ne sont sortis de ma modeste gueule.
Lorsque l’Amour me fait sentir ses feux,
Ce n’est qu’à ma Maîtresse seule
Que j’ose confier mes secrets amoureux.
Alors sensible aux tourments que j’étale,
D’un Chat digne de moi sa bonté me régale ;
Cela s’appelle-t-il un destin malheureux ?
Si ce Maréchal qui vous aime,
Voulait pour vous faire de même ;
Si ce véritable Héros,
Qui seul a plus d’esprit et de valeur que trente,
Lorsque l’Amour trouble votre repos,
Offrait à vos désirs une Chienne charmante,
On ne vous verrait point réduit
À la nécessité d’idolâtrer sans fruit
Une Maîtresse égratignante.
Jamais Chien n’eut tant de savoir,
Jamais Chien n’eut tant d’éloquence,
Tant d’esprit, tant d’amour que vous en faites voir.
Veuillent les Immortels, auteurs de ma naissance,
Soutenir contre vous mon chancelant devoir.
Ils exaucent mes vœux, et déjà je commence
À sentir dans mon cœur l’effet de leur secours.
Je vous vois des défauts qui vont rompre le cours
D’un feu, qui m’aurait pu coûter mon innocence :
Oui, je remarque en vous un défaut furieux ;
En est-il un plus grand que l’indigne faiblesse,
Qui vous fait renoncer à vos doctes Aïeux ?
Il vous serait plus glorieux
Qu’on crut qu’avec leur sang vous avez leur sagesse,
Que de puiser votre noblesse
Dans la source du sang des Dieux ;
Semblable à ces humains, dont la vaine folie
Est de traîner d’illustres noms,
Et qu’à prix d’argent on allie
Aux plus éclatantes Maisons,
Dont l’antique Histoire est remplie,
Découvrent-ils des noms plus grands ?
Un fourbe Généalogiste
D’eux, à ces noms trouve une piste ;
Comme ils changent d’habits, ils changent de parents ;
Chez eux l’orgueil domine, et non pas la nature.
Je connais leurs défauts mieux qu’ils ne font les miens ;
Mais je ne savais pas, Cochon, je vous le jure,
Qu’il fût des d’Oziers chez les Chiens ;
À-peu-près voilà votre histoire :
Hier Cynique, aujourd’hui Dieu ;
Vous êtes dans les Cieux, aux bords de l’onde noire,
Et sur terre, en troisième lieu ;
Cela n’est pas facile à croire.
Quoi ! vous feriez tout-à-la-fois
Le grand Chien dont l’ardeur nous brûle ?
Le laid Chien à la triple voix ?
Le gros Chien dont je fais scrupule
D’écouter les tendres abois ?
Vous parais-je assez bête, ou bien assez crédule,
Pour croire qu’un Chien en soit trois ?
Lorsque je vous contai la galante aventure
Qu’eut Vénus sur les bords du Nil,
Je n’eus point, comme vous, recours à l’imposture ;
Je ne prouve pas bien, dites-vous, qu’en droit fil
Je sois de la Mère des Grâces ;
Quelle preuve vous en faut-il ?
ons-nous des contrats qui des premières Races
Jusqu’à nous conservent les traces ;
Je ne puis donc avoir pour moi
Que la seule Mythologie.
Quel livre est plus digne de foi
Qu’un livre qui contient en soi
La première Théologie ?
Si parmi les célestes feux
Qui règlent le sort de chaque être,
On voit votre espèce paraître,
N’en soyez pas plus orgueilleux.
L’Âne de l’ivrogne Silène,
Le Bouc sale et puant, le Scorpion hideux,
Et mille monstres affreux
Font, comme elle, briller la lumineuse plaine.
Mais, Cochon, montrez-moi quelqu’un de parmi vous,
Dont on ait cru la cervelle assez saine,
Pour lui donner la forme humaine,
Comme les dieux ont fait pour nous.
Jadis un jeune fou possédait une Chatte,
Pour qui l’histoire dit qu’il prit beaucoup d’amour ;
Il ne se ait pas un jour
Qu’il ne baisât cent fois et sa gueule et sa patte,
De cet étrange amour c’était là tout le fruit ;
Et comme il faut quelqu’autre chose,
Ce pauvre Amant se vit réduit
À demander aux Dieux une métamorphose.
Il n’épargna ni soins, ni pleurs, ni revenus,
Pour se rendre Vénus propice.
Le célèbre Temple d’Érice
Fuma de plus d’un sacrifice.
Il fit tant enfin que Vénus,
Par excès de pitié pour sa bizarre flamme,
De sa Chatte fit une femme.
N’allez pas en Chien ignorant
Croire encor que j’impose à la belle Déesse ;
De l’honneur fait à mon espèce,
Je donne Ésope pour garant :
Mais oublions tous deux notre race immortelle.
Finissons, Cochon, j’y consens,
Une si fameuse querelle ;
Soyez pour moi tendre et fidèle.
Malgré les Dieux, je cède au trouble que je sens.
Que les galants propos, que les jeux innocents
Naissent chez nous d’une tendresse
Que ne soutiendra point le commerce des sens.
Allons ensemble, allons sans cesse
Cueillir aux rives du Permesse
De ces fleurs qui durent toujours.
Couronnons-en ce Maître incomparable,
Dont le divin Génie embellit vos discours ;
Et laissons dans le monde un souvenir durable
De nos singuliers Amours.
F I N.
GRISETTE, Chatte de Madame Deshouillières, Amante de Cochon.
MIMY, Chat de Mademoiselle Deshouillières, Amant de Grisette.
MARMUSE, Chat de Madame Deshouillières, Confident de Mimy.
CAFAR, Chat des Minimes de Chaillot, Député des Chats du Village.
Troupe de Chats du Voisinage.
L’AMOUR.
La scène est à Paris dans la maison de Madame Deshouillières.
Le Théâtre s’ouvre et représente une Terrasse de plain pied aux Gouttières.
MIMY, MARMUSE, Chœur de Chats du Voisinage.
MIMY
Je ne puis souffrir les rigueurs dont Grisette
Paye mes soins et mon tourment.
Pour Cochon, tu le sais, l’ingrate me maltraite ;
Ciel, quel dérèglement !
Une Chatte choisir un Chien pour son amant :
Conçois-tu bien, mon cher Marmuse,
L’excès des peines que je sens ?
Depuis deux ans
Un vilain Chien possède un cœur qu’on me refuse.
MARMUSE
À votre désespoir, Mimy,
Je ne puis exprimer combien je suis sensible,
J’ai vers la belle gloire une pente terrible ;
Et de plus je suis votre ami,
Croyez-moi, quittez une Chatte
Assez peu délicate,
Pour préférer un Chien au plus parfait des Chats.
MIMY
Je ne saurais cesser d’adorer ses appâts ;
Mais il faut aujourd’hui que ma vengeance éclate ;
Ami, ne m’abandonne pas,
Viens m’aider à punir une Maîtresse ingrate.
MARMUSE
Quand il faut vous servir, pour moi rien n’est sacré ;
Allons, je vous offre ma patte,
Disposez-en à votre gré.
MIMY, MARMUSE, CAFAR, Chœur des Chats du Voisinage.
CAFAR
Apprenez, beaux Matous, une grande nouvelle,
Cochon vient de perdre le jour ;
Une rage affreuse et cruelle
À Grisette a ravi l’objet de son Amour.
MARMUSE
Le cœur de Grisette
Est donc à louer,
Avec la coquette
Qui veut se jouer ?
Pour moi qui me pense
Un Chat d’importance,
Je ne ferai rien
Qui vous fasse dire
Que mon cœur aspire
Aux restes d’un Chien.
MIMY
Quelle main favorable a lavé notre injure
Dans le sang de ce Chien maudit ?
Cafar, faites-nous le récit
De cette agréable aventure.
MARMUSE
Ne va pas imiter le style triomphant
D’un genre de mortels que Beaux Esprits on nomme,
La Mouche entre leurs mains devient un Éléphant ;
Et l’on pourrait aller de Paris jusqu’à Rome,
Avant qu’ils eussent dit le chagrin d’un enfant
À qui l’on dérobe une pomme.
CAFAR
Je n’ai garde d’être si sot,
Un village ici-près qu’on appelle Chaillot,
Agréable, abondant, vaste, peuplé tout comme…
MARMUSE
Justement, t’y voilà, nous pouvons faire un somme,
Avant que nous soyons à la mort de Cochon ;
Harangueur fastueux, dont l’éloquence assomme,
Puisse-t-on de ta peau bientôt faire un manchon.
CAFAR, à Mimy
Ce fou vous est-il nécessaire ?
MIMY
Ne vous amusez pas à ses emportements.
CAFAR
Sachez donc que depuis un temps
Chaillot est devenu le séjour ordinaire
D’un Maréchal vaillant comme défunt César,
Sage comme un Caton, savant comme un Homère…
MARMUSE
Halte-là, mon ami Cafar,
L’éloge n’est pas ton affaire ;
Nous connaissons ce Maréchal,
Ce qu’il a fait, ce qu’il peut faire,
Et nous l’aimons, foi d’animal.
CAFAR, à Mimy
Ne voulez-vous pas faire taire
Ce petit fripon de Matou ?
MIMY, à Marmuse
Ah ! Marmuse, écoutez, si vous voulez me plaire.
MARMUSE
Qu’il me soit donc permis de bailler tout mon saoul.
CAFAR
Cochon trop orgueilleux des faveurs de son Maître,
De tous les autres Chiens attirant le courroux :
C’en est trop, dirent-ils, vengeons-nous, vengeons-nous ;
Il faut nous défaire d’un traître.
La rage à cet instant vint s’offrir devant eux :
Qu’un de vous aujourd’hui, dit-elle, me reçoive,
Sans qu’on s’en aperçoive,
Je punirai cet orgueilleux.
Citron, sans tarder davantage,
Ouvre toute son âme à la cruelle rage ;
D’abord ce Chien adroit
Parcourut le Village,
Puis vint prendre Cochon par un vilain endroit,
Et l’envoya là-bas tout droit.
MIMY
La fortune pour nous devient donc favorable ;
Ce Chien, ce Rival redoutable,
Pour qui nos tendres soins ont été négligés,
À subi des Destins l’arrêt irrévocable ;
Mais peut-être les maux dont l’Amour nous accable
N’en seront pas plus soulagés,
Grisette pleurera ses plaisirs dérangés.
Quand on aime, est-ce un avantage,
De voir du fier objet, à qui l’on rend hommage,
Les beaux yeux toujours affligés ?
CHŒUR DE CHATS
Miaou, miaou, nous sommes tous vengés.
MARMUSE, à Mimy
Au lieu de vous répandre en de belles paroles,
Nous ferions mieux d’aller à pas bien ménagés
Dérober là-bas quelques soles,
Ou de certains chapons, de graisse tout chargés,
Que je sais qu’on n’a pas mangés.
MIMY
Marmuse, un autre soin m’occupe.
MARMUSE
En Héros de Roman, comme une franche dupe,
Cher ami vous vous érigez.
CHŒUR DE CHATS
Miaou, miaou, nous sommes tous vengés.
GRISETTE, MIMY, MARMUSE, CAFAR, Chœur de Chats du Voisinage.
GRISETTE
Cruels Matous, qu’osez-vous dire ?
Songez-vous que vous m’outragez ?
CHŒUR DE CHATS
Miaou, miaou, nous sommes tous vengés.
GRISETTE
À mes cruels ennuis je ne saurais suffire,
Mon juste désespoir va finir mes malheurs,
Miaou, miaou, coulez, coulez mes pleurs
Malgré la haine naturelle,
Que le Ciel en naissant imprima dans nos cœurs :
Cochon désarma mes rigueurs ;
Et je perdis pour lui le beau nom de cruelle ;
Miaou, miaou, coulez, coulez mes pleurs.
MARMUSE
Grisette, rougissez de vos folles douleurs.
CHŒUR DE CHATS
Grisette, rougissez de vos folles douleurs.
GRISETTE
Non, ce n’est point assez de pleurer ce que j’aime,
Son trépas demande le mien.
Mourons pour cet illustre Chien :
À ces mânes errants immolons-nous nous-mêmes ;
Non, ce n’est point assez de pleurer ce que j’aime,
Son trépas demande le mien.
MIMY
Ce n’est donc pas assez, Chatte injuste et barbare,
D’avoir trahi votre devoir,
Par une ion bizarre,
Quand la mort d’un rival rallume mon espoir,
Il faut encor me faire voir
Tout ce qu’à mon amour votre douleur prépare.
Craignez que cette patte… ah ! ma raison s’égare,
Je frissonne… je meurs…
MARMUSE, à Mimy
Bonsoir.
À Grisette
C’est un diable quand on l’irrite ;
Ne vous exposez pas à son ardent courroux,
À contenter ses feux tout en lui vous invite ;
Cochon n’avait d’autre mérite
Que celui d’être aimé d’un Héros et de vous.
GRISETTE
Son choix autorisait ma fatale faiblesse ;
On sait pour mon amant la douleur qui le presse,
Mon cher Cochon était le plus beau des toutous.
Miaou, miaou.
MARMUSE
Peste des Miaous.
Beauté capricieuse
Soyez un peu moins précieuse,
Le ridicule suit de bien près les grands goûts.
Cet assemblage de merveilles,
Ce Cochon, ce Chien tant aimé,
Était sans queue et sans oreilles ;
Il fut, dit-on, sauvé de l’égout de Marseille,
Et Cochon fut nommé,
Tant il avait de l’air de cette bête immonde ;
Il sortait de sa gueule une certaine odeur,
Qui se faisait sentir de cent pas à la ronde ;
Il ne lui restait plus qu’un œil distillateur :
C’était à cela près le plus beau Chien du monde.
GRISETTE, CHŒUR DE CHATS
Non, Cochon était fait
Pour enflammer un cœur,
Pour faire mal au cœur.
MARMUSE
Durant tout le cours de sa vie,
Il ne se a jour, je n’en excepte aucun
Qu’il ne lui prît une sincère envie
De dévorer toujours quelqu’un ;
Chapons, Perdrix entraient dans sa panse profonde,
Sans qu’il prît soin de les mâcher.
Caresses, ni bienfaits ne pouvaient le toucher ;
C’était, à cela près, le meilleur Chien du monde.
GRISETTE
Ose-t-on à mon cœur porter de pareils coups ?
Ah ! que d’horreurs, et quel blasphème !
Redoutez, médisants Matous,
Redoutez ma fureur extrême,
Tremblez, tremblez tous.
Toi divine Vénus, dont je suis descendue,
Viens ici défendre mes droits ;
Ne laisse pas pour moi ta tendresse inconnue ;
Punis des habitants des toits
La brutale et dure insolence,
C’est en moi ton sang qu’on offense.
MARMUSE
Nous redoutons peu sa vengeance,
Un Chat aux bords du Nil fut jadis son époux,
Et nous avons fait connaissance,
Tandis qu’elle était parmi nous.
Cessez donc d’invoquer la charmante Déesse,
Redonnez-vous à votre espèce,
Votre destin sera plus doux.
CHŒUR DE CHATS
Redonnez-vous à votre espèce,
Votre destin sera plus doux.
GRISETTE
Je dois à Cochon ma tendresse ;
Dussiez-vous être encor mille fois plus jaloux,
Vous verrez à quel point pour lui je m’intéresse.
CHŒUR DE CHATS
Redonnez-vous à votre espèce,
Votre destin sera plus doux.
MARMUSE
MENUET
Il faut n’être pas mal folle,
Pour aimer un Amant mort ;
Les humains en sont d’accord ;
On apprend à leur école
Que l’absent a toujours tort.
MIMY
L’ingrate a déjà fait retraite,
Elle fuit mes feux irrités.
Ah ! cruelle Chatte, arrêtez,
Grisette, Grisette, Grisette.
CHŒUR DE CHATS
Grisette, Grisette, Grisette.
Ah ! cruelle Chatte, arrêtez.
L’AMOUR, MIMY, MARMUSE, CAFAR, CHŒUR DE CHATS.
L’Amour à califourchon sur une Gouttière.
Tendre Matou, laissez-la faire,
Votre infortune finira ;
J’en jure par mon arc, j’en jure par ma mère ;
La confiance est une chimère,
Dont Grisette se lassera.
CHŒUR DE CHATS
Croyons, croyons l’Amour, ce Dieu nous vengera.
F I N
A.
Abélard, moins aimé qu’un Chat qui éprouva les mêmes malheurs que les siens. Lettre 5.
Agréments des Chats, opposés à la tristesse des squelettes des Égyptiens. Lettre 1.
Amants Égyptiens prouvent leur tendresse par le nombre de trente. Lettre 2.
Annibal, sur quel modèle il se conduisait. Lettre 6.
Arion, Inventeur du Dithyrambe. Lettre 1.
Armée détruite, parce qu’elle n’avait point de Chats. Lettre 3.
Assassins des Chats abandonnés en Égypte au bras séculier. Lettre 2.
Avantage des yeux des Chats sur les nôtres. Lettre 11.
B.
Ballet d’une grande nouveauté. Lettre 8.
Baromètres vivants. Lettre 10.
Batrachomyomachie, fragment traduit en vers français. Lettre 8.
Bouffard, Roi des Grenouilles. Lettre 8.
Brahmane, Rival d’un Chat. Lettre 4.
Brinbelle, Chatte Asiatique, la première qui ait é en . Lettre 4 et 5.
Bubaste, Ville consacrée à la sépulture des Chats. Lettre 1 et 2.
C.
Chanson en vogue dans les soupers de l’Égypte. Lettre 1.
Chanson imitée des Égyptiens. Lettre 1.
Chat ayant de gros biens. Lettre 10.
Chats, Astrologues nés. Lettre 10.
Chats calomniés. Lettre 1.
Chat déclaré Général d’Armée. Lettre 10.
Chats de Mer. Lettre 10.
Chats divinisés. Lettre 1.
Chats embaumés après leur mort. Lettre 2.
Chats, exemple de conduite pour les Magistrats. Lettre 6.
Chats forment le corps de la plupart des axiomes de morale. Lettre 6.
Chats invités aux festins. Lettre 1 et 3.
Chats très avantageusement organisés pour le chant. Lettre 1.
Chats volants. Lettre 10.
Chats utiles à la Musique, même après leur mort. Lettre 3.
Chats et Chattes des siècles és, comparables à Alcibiade et à Hélène. Lettre 1.
Chatte plus tendre qu’Héloïse. Lettre 5.
Chattes avortent quand leur mari meurt. Lettre 5.
Chevaux estimés très éloquents. Lettre 1.
Comment chaque Nation est le Chat de l’autre. Lettre 1.
Comment il est plus aisé d’avoir raison. Lettre 2.
Comment les Chats tombent toujours sur leurs pattes. Lettre 6.
Concert formé par des Cochons. Lettre 3.
Coquetteries qui se èrent dans l’Arche, selon une Tradition Ottomane. Lettre 4.
Culte du Dieu Chat. Lettre 2.
D.
Dames Égyptiennes flattées de ressembler à la Déesse Chatte. Lettre 2.
Dévendiren, Roi de l’un des sept Cieux où les Indiens aspirent. Lettre 4.
Deuil solennel des Égyptiens à la mort des Chats. Lettre 2.
Dialogue de deux Chats amants. Lettre 3.
Dieu Chat jouant du Systre. Lettre 1.
Dissertation de M. Boyle, sur la Prunelle des yeux des Chats. Lettre 10.
Dormir sur le côté gauche fait faire de méchants vers. Lettre 1.
E.
Édifice de la Bourse de Londres, Monument à la gloire des Chats. Lettre 10.
Égratignures morales. Lettre 11.
Égyptiens trouvaient clairement des Relations entre les parties de la Musique et les Saisons de l’année. Lettre 3.
Éloge des Ânes. Lettre 1.
Enfants voués aux Chats. Lettre 2.
Épitaphe de l’illustre Marlamain. Lettre 7.
Évanouissements qui ne prouvent rien. Lettre 1.
Événement certain et très désirable, dont on ne peut fixer le temps. Lettre 11.
F.
Fable de M. de La Mothe, très ingénieuse. Lettre 4.
Fêtes des Pamyliens. Lettre 1.
Forme des Chats. Lettre 10.
G.
Galles, Prêtres de Cybèle, ayant moins de pudeur que les Chats. Lettre 5.
Généalogie de Chats illustres. Lettre 4.
Genre d’Églogue que n’ont point connu les Anciens. Lettre 8.
Germanicus, ennemi déclaré des Coqs. Lettre 1.
Gouttières, Écoles irables d’éducation. Lettre 6.
H.
Histoire d’une Chatte de l’Hôtel de Guise. Lettre 5.
Homère parle des Chats d’une façon convenable. Lettre 8.
Hommage très indécent rendu au Bœuf Apys par les Dames Égyptiennes. Lettre 2.
I.
Idylle sur les Chats, traduite de l’Arabe. Lettre 8.
Institution du Phallus. Lettre 1.
Isis appelée Myrionyme, Déesse à mille voix. Lettre 1.
Isis qui est la même que Diane, transformée en Chatte. Lettre 1.
Jugements injustes sur les Chattes. Lettre 6.
Juments de la Grèce qui ne consentaient à être saillies qu’au bout d’une certaine chanson. Lettre 1.
L.
L’abbé de Baigne, homme ingénieux qui vivait à la Cour de Louis XI. Lettre 3.
L’autorité des Chats l’emporte sur la puissance Romaine. Lettre 2.
La Déesse Chatte, regardée comme la Déesse des amours. Lettre 2.
La Déesse Chatte, représentée en belle femme, assise dans un fauteuil. Lettre 2.
Le Dieu Chat, appelé Elurus. Lettre 2.
Le Dieu Pet. Lettre 2.
Le Prêtre de Jupiter appelé Flamen Dial ne devait souffrir l’approche d’un Chien. Lettre 3.
Les Alains et les Vandales portaient dans leurs armes un Chat pour symbole de la liberté. Lettre 11.
Les Chats mis en parallèle avec les Brahmanes. Lettre 4.
Les Chats s’emparent de la Ville de Péluse. Lettre 2.
Les Chats sont un excellent remède contre les vapeurs. Lettre 7.
Les Chattes noires sont les plus piquantes aux yeux des Matous. Lettre 9.
M.
Madame de la Sablière éprouve combien le commerce des Chats est séduisant. Lettre 9.
Mademoiselle Dupuy, célèbre joueuse de Harpe, instruite par son Chat. Lettre 10.
Maisons de plaisance pour les Chats. Lettre 4.
Manche coupée, pour ne point interrompre le sommeil d’un Chat. Lettre 4.
Maneros, fils du Roi Malcander, Inventeur de la Musique. 13. Lettre 1.
Marlamain, Chat de Madame la Duchesse du Maine. Lettre 7.
Marmarides, désert rempli de Serpents. Lettre 8.
Marot emprunte des Chats les traits les plus ressemblants du Portrait de Vénus. Lettre 10.
Médaille de Chat noir premier. Lettre 9.
Monastère où on entretenait une armée de Chats. Lettre 4.
Monsieur de Fontenelle, élevé dans la haine des Chats, secoue ce préjugé. Lettre 1.
Monsieur Locke découvre quelles sont les sources de la prévention injuste contre les Chats. Lettre 1.
Montagne, irateur du mérite des Chats. Lettre 8 et 11.
Monuments antiques, représentant le Dieu Chat. Lettre 1 et 2.
Mort de Marlamain. Lettre 7.
Musique des Chats, infiniment plus étendue que la nôtre. Lettre 1.
N.
Nature des Chats, titre glorieux des Rois du Turquestan. Lettre 11.
Nom des Chats, en Hébreu, Grec, Latin, Italien, Celtique, Espagnol, Allemand, Anglais, Hollandais, Arabe et Maldivois. Lettre 8.
Noms propres ont grand crédit sur l’imagination. Lettre 4.
Nourrices, sont la source du plus injuste de tous les préjugés. Lettre 1.
O.
Obsèques des Chats coûtant des sommes immenses. Lettre 2.
Observations de M. Lemery, sur les yeux des Chats. Lettre 11.
Observations très curieuses d’Aristote et de Pline, sur la situation des Chattes quand elles s’accouplent. Lettre 5.
Opéra des Chats. Lettre 2 et Tragédie.
Ophiade, Île déserte à cause des Serpents. Lettre 8.
Origine des cris que font les Chattes quand elles sont en rendez-vous. Lettre 5.
Orphée transporte d’Égypte en Grèce le culte du Dieu Chat. Lettre 1.
P.
Pallas, nommé Glaucopis. Lettre 10.
Paphos réduite à s’appeler Bafa. Lettre 4.
Par quel charme la Dame de Fayel inspira une grande ion au Sire de Coucy. Lettre 10.
Parabaravarastou, Roi des Divinités de l’Inde. Lettre 4.
Parisadam, fleur dont les Indiens croient que l’odeur communique l’immortalité. Lettre 4.
Patripatan, Chat Indien, dont la mémoire est extrêmement honorée. Lettre 4.
Patte de velours, argument métaphysique. Lettre 11.
Pénitent Indien, célébré par son Chat. Lettre 4.
Perfidie des chaudronniers. Lettre 5.
Perycilacisme, Loi contre les Chiens. Lettre 3.
Phosphores trouvés dans les Chats. Lettre 11.
Physionomie très heureuse des Chats. Lettre 11.
Portraits des Chats portés en triomphe. Lettre 2.
Prééminence des Chats en Égypte sur tous les autres animaux. Lettre 2.
Prêtres Égyptiens se baignaient dans l’eau froide. Lettre 2.
Prévoyance, vertu pénible dont les Chats n’ont pas besoin. Lettre 11.
Psicharpax, Prince Rat. Lettre 8.
Pythagore, délicat connaisseur en Musique. Lettre 3.
Q.
Quarante-huit millions de Déesses ayant pour maris cent vingt-quatre millions de Dieux. Lettre 4.
Quintus Curtius, Imitateur des Chats de l’Égypte. Lettre 2.
R.
Rapports entre les Chats et la Lune. Lettre 2.
Rapports entre les Chats et les Astres. Lettre 2 et 10.
Ratillon d’Austrasie, troisième époux de Brinbelle. Lettre 5.
Ronsard met les Chats au rang des Oracles. Lettre 10.
S.
Sabat général. Lettre 1.
Sennachérib, Roi des Arabes, vaincu faute d’avoir des Chats pour le défendre. Lettre 3.
Schabè-Schah, Prince du Turquestan, vaincu par la ressemblance d’un Chat. Lettre 3.
Sentiment du Père Malbranche sur la répugnance que quelques personnes ont contre les Chats. Lettre 1.
Sistre, instrument de musique, orné de plusieurs figures de Chats. Lettre 1.
Sources de l’ascendant que des Proverbes ont sur les esprits. Lettre 3.
T.
Testaments en faveur des Chats. Lettre 4 et 10.
Traitement honorable fait aux Chats pendant leur vie. Lettre 2.
Troupeau de Chats, irable sujet d’Églogue. Lettre 8.
V.
Vers de M. de Fontenelle sur les Brunes. Lettre 9.
Vers d’une grande Princesse, à l’honneur de son Chat. Lettre 7.
Une très jolie Femme, comparée aux Chats. Lettre 1.
Usages Grecs, renouvelés en Mirebalais. Lettre 1.
Whigtington n’a pour légitime qu’un Chat, et devient grand Seigneur. Lettre 10.
J’ai lu par ordre de Monseigneur le Garde des Sceaux, un Manuscrit intitulé Les Chats, dont on peut permettre l’impression. À Paris, le 18 Mars 1727. CHERIER.
PRIVILÈGE DU ROI
LOUIS PAR LA GRÂCE DE DIEU Roi de et de Navarre : À nos aimés et (fidèles) Conseillers les gens tenant nos Cours de Parlement, Maîtres des Requêtes ordinaires de notre Hôtel, Grand-Conseil, Prévôt de Paris, Baillis, Sénéchaux, leurs Lieutenants Civils, et autres nos Justiciers qu’il appartiendra ; Salut. Notre bien aimé le Sieur *** Nous a fait remontrer qu’il aurait composé un Manuscrit qui a pour titre Les Chats, dont il désirerait faire imprimer et donner au Public, s’il Nous plaisait lui accorder nos Lettres de Privilège sur ce nécessaires ; offrant pour cet effet de le faire imprimer en bon papier et beaux caractères, suivant la feuille imprimée et attachée pour modèle sous le Contre-sceau des Présentes. À ces causes, voulant traiter favorablement ledit Exposant, Nous lui avons permis et permettons par ces Présentes de faire imprimer le Livre ci-dessus spécifié, en un ou plusieurs volumes, contement ou séparément, et autant de fois que bon lui semblera, sur papier et caractères conformes à ladite feuille imprimée et attachée sous notre dit Contre-sceau, et de le vendre, faire vendre et débiter par tout notre Royaume pendant le temps de huit années consécutives, à compter du jour de la date desdites Présentes. Faisons défenses à toutes sortes de personnes, de quelque qualité et condition qu’elles soient, d’en introduire d’impression étrangère dans aucun lieu de notre Obéissance ; comme aussi à tous Libraires, Imprimeurs, et autres, d’imprimer, faire imprimer, vendre, faire vendre, débiter, ni contrefaire ledit Livre en tout, ni en partie, ni d’en faire aucuns Extraits, sous quelque prétexte que ce soit d’augmentation, ou correction, changement de titre, ou autrement, sans la permission expresse et par écrit dudit Exposant, ou de ceux qui auront droit de lui, à peine de confiscation des Exemplaires contrefaits, de quinze cent livres d’amende contre chacun des contrevenants, dont un tiers à Nous, un tiers à l’Hôtel-Dieu de Paris, l’autre tiers audit Exposant, et de tous dépens, dommages et intérêts ; à la charge que ces Présentes seront enregistrées tout au long sur le Registre de la Communauté des Libraires et Imprimeurs de Paris, dans trois mois de la date d’icelles ; que l’impression de ce Livre sera faite dans notre Royaume, et non ailleurs ; et que l’Impétrant se conformera en tout aux Règlements de la Librairie, et notamment à celui du dix avril 1725 ; et qu’avant que de l’exposer en vente, le Manuscrit ou Imprimé, qui aura servi de copie à l’impression dudit Livre, sera remis dans le même état où l’Approbation y aura été donnée, ès mains de notre très cher et fidèle Chevalier, Garde des Sceaux de , le Sieur Fleuriau d’Armenonville, Commandeur de nos Ordres ; et qu’il en sera ensuite remis deux exemplaires dans notre bibliothèque publique, un dans celle de notre Château du Louvre, et un dans celle de notredit très cher et féal Chevalier, Garde des Sceaux de , le Sieur (Fleurian) d’Armenonville, Commandeur de nos Ordres, le tout à peine de nullité des Présentes : Du contenu desquelles vous mandons et enjoignons de faire jouir l’Exposant, ou ses Ayants cause, pleinement et paisiblement, sans souffrir qu’il leur soit fait aucun trouble ou empêchement. Voulons que la Copie desdites Présentes qui sera imprimée tout au long au commencement ou à la fin dudit Livre, soit tenue pour dûment signifiée, et qu’aux Copies collationnées par l’un de nos aimés et fidèles Conseillers et Secrétaires, foi soit ajoutée comme à L’Original. Commandons au premier notre Huissier ou Sergent de faire pour l’exécution d’icelles tous Actes requis et nécessaires, sans demander autre permission, et nonobstant Clameur de Haro, Charte Normande, et Lettres à ce contraires. Car tel est notre plaisir. Donné à Paris le troisième jour du mois d’Avril, l’an de grâce mil sept cent vingt-sept, et de notre Règne le douzième. Par le Roi en son Conseil. DE SAINT-HILAIRE.
Registré sur le Registre VI de la Chambre Royale et Syndicale de la Librairie et Imprimerie de Paris N° 635, fol. 510, conformément au Règlement de 1723 qui fait défenses art. IV à toutes personnes de quelque qualité qu’elles soient, autres que les Libraires et Imprimeurs, de vendre, débiter et faire afficher aucuns Livres pour les vendre à leurs noms, soit qu’ils s’en disent les Auteurs, ou autrement, et à la charge de fournir les Exemplaires prescrits par l’article CVIII du même Règlement. À Paris, le vingt-neuf Avril mille sept cent vingt-sept. BRUNET, Syndic.
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[1] Le texte du 18e siècle a été modernisé avec mesure, essentiellement pour certaines orthographes anciennes pouvant gêner le lecteur. Ni la syntaxe ni le style n’ont fait l’objet de modification. (BNR.)
[2] Monsieur de Fontenelle, Églogue.
[3] De M. de La Mothe Le Vayer, sous le nom d’Oratius Tubere. Jacques Pelletier de la Ville du Mans, Poète imprimé en 1581, a fait un Poème à la louange de la Fourmi. Le Sieur Perrin, Introducteur des Ambassadeurs de M. le Duc d’Orléans, a fait ce même éloge en vers ; il a fait encore celui du Grillon, du Moucheron et du Ver à soie, imprimé en 1661.
[4] On voit tant de personnes qui ne peuvent souffrir la vue d’un Chat, à cause de la peur que ces animaux ont fait aux mères de ces personnes, lorsqu’elles étaient grosses. Recherche de la vérité, tome Ier, livre IIe, p. 189.
[5] M. Locke. Il est du même sentiment que le Père Malbranche ; mais il ajoute que le plus souvent ces antipathies sont acquises, quoiqu’on les croie naturelles ; que leur origine n’est que la liaison accidentelle de deux idées, que la violence d’une première impression, ou une trop grande indulgence a si fort unies, qu’après cela elles ont toujours été ensemble dans l’esprit d’un homme. Les idées d’esprits ou de fantômes n’ont pas plus de rapport aux ténèbres qu’à la lumière ; mais si on vient à inculquer souvent ces différentes idées dans l’esprit d’un enfant, et les y exciter comme tes ensemble, peut-être que l’enfant ne pourra jamais plus les séparer durant tout le reste de sa vie ; la peur des Chats n’est donc qu’une de ces liaisons irrégulières d’idées qui déshonore notre entendement. Traité de l’entendement, p. 488 et 489, livre IIe, chap. XXXIIIe, traduction de l’Anglais. M. de Coulange a dit au sujet des enfants dans une de ses chansons :
On leur fait peur du Loup-garou ;
On leur fait peur de la grand-bête ;
Le Dragon va sortir du trou,
Qui pour les dévorer s’apprête ;
Enfin ces petits malheureux
N’ont que des monstres autour d’eux.
[6] Plutarque, Livre de l’Envie et de la Haine, p. 107, traduction d’Amyot.
[7] Un exemple bien marqué des causes chimériques qui fondent presque toujours la haine qu’on a contre les Chats, se trouve dans les Poèmes de Ronsard ; c’est dans une Épître au Poète Belleau.
Homme ne vit, qui tant haïsse au monde
Les Chats que moi, d’une haine profonde ;
Je hais leurs yeux, leur front, et leur regard ;
Et les voyant je m’enfuis d’autre part,
Tremblant de nerfs, de veines, et de membre,
Et jamais Chat n’entre dedans ma chambre ;
Abhorrant ceux qui ne sauraient durer,
Sans voir un Chat auprès d’eux demeurer.
Jusqu’ici voilà une déclaration de haine, expliquée avec un grand détail ; les yeux, le front, et le regard des Chats y sont mis en scène par préférence. On s’imagine que le Poète va donner raison de tout ce déchaînement ; point du tout, il e légèrement à un récit :
Et toutefois cette hideuse bête
Se vint coucher tout auprès de ma tête,
Cherchant le mol d’un plumeux oreiller,
Où je voulais à gauche sommeiller ;
Cette heureuse découverte de la façon de dormir, de Ronsard, prouve autant contre les Chats, qu’elle vient sensément à son sujet. Continuons :
(Car volontiers à gauche je sommeille,)
Jusqu’au matin que le Coq me réveille.
Le Chat cria d’un miauleux effroi ;
Je m’éveillai comme tout hors de moi,
Et en sursaut mes serviteurs appelle.
L’un allumait une ardente chandelle ;
L’autre disait que bon signe c’était,
Quand un Chat blanc son Maître reflétait ;
L’autre disait, que le Chat solitaire,
Était la fin d’une longue misère ;
Et lors fronçant les plis de mon sourcil,
La larme à l’œil, je leur réponds ainsi :
Le Chat devin, miaulant, signifie
Une fâcheuse et longue maladie ;
Et que longtemps je garderai la maison ;
Comme le Chat qui en toute saison
De son Seigneur le logis n’abandonne,
Et soit Printemps, soit Été, soit Automne,
Et soit Hiver, soit de jour, soit de nuit,
Ferme s’arrête et jamais ne s’enfuit,
Faisant la ronde et la garde éternelle,
Comme un Soldat qui fait la sentinelle,
Avec le Chien et l’Oie, dont la voix
Au Capitole annonça le Gaulois.
Que d’inconséquences dans les idées de notre Déclamateur ! pour fonder son antipathie contre les Chats, il n’a que des louanges à leur donner ; il leur accorde l’humeur sédentaire et la fidélité à garder le logis de leur Maître ; il les compare enfin aux Oies sacrées qui sauvèrent le Capitole.
Il n’est pas étonnant que Ronsard n’ait eu qu’une réputation agère ; son peu de philosophie a ouvert les yeux sur les défauts de sa Poésie ; et cet Ouvrage-ci a vraisemblablement commencé d’établir ce mépris, dans lequel ce Poète est généralement tombé.
[8] Orphée apporta en Grèce les Cérémonies Religieuses des Égyptiens, et les transmit aux Thébains. Diodore de Sicile, livre Ier, p. 11.
[9] Lucien, Dialogue de l’Assemblée des Dieux.
[10] Voyez les Antiquités du Père Montfaucon, livre VIe du Supplément, planche XLIVe du tome XIe.
[11] Frère d’Osiris qui était l’époux d’Isis, Diodore de Sicile, livre Ier, p. 6.
[12] Cum vero in varia animalia ibi mutati fuisse dicantur, illa fuit causa cur animalia multiplicia postea coluerint Ægyptii. Nat. Com. p. 644.
[13] Fils d’Osiris et d’Isis.
[14] Isis fille de Saturne et de Rhée, et selon quelques Mythologistes de Jupiter et de Junon, enfants de Saturne et de Rhée, leur succéda au Royaume d’Égypte, donna des lois aux Égyptiens et établit le culte des Dieux. Diodore de Sicile.
Je suis Isis d’Égypte Reine exquise,
Bubaste ville eut par moi constructure.
Ces mots étaient gravés en la ville de Nicée en Arabie. Diodore de Sicile, livre Ier, p. 6 et 15.
Isis est à la fois Cybelle, Minerve, Vénus, Diane, Proserpine, Cérès, Junon, Bellone, Hécate, Rhamnusie ; c’est de là qu’elle a été appelée Myrionyme, déesse à Mille-voix. Apulée, Métamorphoses, livre XIe.
[15] Lib. de Matrim.
[16] Duxque gregis, dixit, fit Jupiter, unde recurvis
Nunc quoque formatus Libys est cum cornibus Ammon,
Delius in corvo, proles Semeleia capro,
Fele foror Phœbi, nivea Saturnia vacca,
Pisce Venus latuit, Cyllenius ibidis alis.
Ovide, Métamorphoses, livre Ve.
[17] Le Sistre était un instrument de Musique ; Isidore remarque que les Amazones s’en servaient à la guerre.
[18] Voyez les Antiquités du Père Montfaucon, tome IIe de la IIe partie.
[19] Typhon lorsqu’il avait tué Osiris, avait découpé son corps en vingt-six parties, qu’il avait répandues et cachées en différentes contrées. Isis à force de chercher, les avait recueillies, à l’exception de celles qui caractérisent l’homme ; mais en ayant fait faire l’image, elle la consacra par des fêtes et par des sacrifices, et l’appela Phallus. Diodore, Plutarque, et autres.
[20] Biblus, Biblis, ou Biblos, Ville maritime de la Phénicie, est une des plus anciennes villes du monde. Steph. Bizant. in Bublos.
Les Égyptiens dans la fête qu’ils appelaient des Pamyliens, portaient en triomphe une statue dont le sexe était marqué avec exagération, pour exprimer que la génération est le principe de toutes choses. Plutarque, chap. d’Isis et d’Osiris.
[21] Arion habitant de Méthymne, inventa le Dithyrambe. Il jouait si irablement de la lyre, que s’étant lancé dans la mer, les Dauphins le reçurent, et le portèrent à Tencrare. Pindare, Plutarque, Ovide, Athénée.
Comme le Dauphin s’achemine,
Courant la part de la marine,
Dont il oit le son retentir
Des haut-bois...
Plutarque, VIIe Livre des propos de table.
[22] Ce chant s’appelait Hyppothoron. Plutarque, VIIe Livre des propos de table.
[23] Sans aller chercher des exemples dans les siècles reculés, n’avons-nous pas dans une province de , des animaux sur lesquels de certains tons ont le même ascendant que la chanson de Plutarque avait sur les Juments.
On commence par appeler l’amant par son nom : Allons mon beau Martin, dit-on ; allons jeune vainqueur ; ne vous a-t-on pas choisi une maîtresse charmante : voyez comme elle est prévenue en votre faveur ; allons, qu’attendez-vous pour être heureux. Cette invitation qui se débite avec une sorte de déclamation chantante, ne manque jamais de produire l’effet espéré.
[24] M. Grew et M. le Clerc. La variété de la Tranche artère est remarquable dans les animaux ; les anneaux de ce tuyau sont disposés en sorte que par leur moyen les animaux sont capables de donner diverses modulations à leur voix. Dans les Chats qui dans les expressions des ions qui les occupent, se servent de divers tons, ces anneaux sont séparés et flexibles, selon qu’ils sont plus ou moins dilatés, ou qu’ils le sont tous, ou seulement quelques-uns d’entre eux ; il faut que le ton soit plus haut ou plus bas, comme il arrive à une corde de viole que l’on presse plus ou moins du doigt. M. Le Clerc, Bibl. chois. tome (nº manquant) p. 293 et 294. Extrait de la Cosmologie sacrée de M. Grew.
[25] Tel esprit fort, soi-disant infaillible,
Nie avec même orgueil tout ce qui le surprend.
Je ne le conçois pas ; donc il est impossible.
Vrai syllogisme d’ignorant.
Fab. VIIe.
[26] Pardus hiando felit. Philomel, Pœm. Carm. 50.
[27] Ces nouveaux Peuples de l’Inde, dit Montagne, après avoir été vaincus, venant demander paix et pardon aux hommes, et leur apporter de l’or, ne faillirent d’en aller autant offrir aux chevaux avec une toute pareille harangue à celle des hommes, prenant leur hennissement pour langage de composition et de trêve.
[28] Hérodote en Euterpe :
Plus inconstant que l’onde et le nuage,
Le temps s’enfuit, pourquoi le regretter ?
Malgré la pente volage,
Qui le force à nous quitter,
En faire usage,
C’est l’arrêter.
Goûtons mille douceurs,
Si notre vie est un age,
Sur ce age au moins semons des fleurs.
[29] Par ce Symbole, ajoute Vigenère, les Égyptiens voulaient entendre la Lune, avec laquelle ce bestial a une grande convenance et conformité d’habitude, soit que vous regardiez aux variétés, taches, mouchetures de sa peau, ou à sa ruse, ou qu’elle est en action plus la nuit que le jour, t que l’on dit qu’à la première portée, elle fait un Chaton, à la seconde, deux, à la tierce, trois, et ainsi conséquemment jusqu’à la septième, croissant chaque fois d’un ; tellement que tout le temps de sa vie elle vient à avoir autant de Petits justement que l’on compte de jours en chaque lunaison ; car tous ces nombres assemblés, montent à vingt-huit ; de plus l’augmentation de la prunelle de ses yeux en pleine Lune, et la diminution dans le décours, nous donnent assez à connaître combien cela s’accorde et convient avec les mutations de cet Astre. Notes sur Philostrate, chap. du Nil, p. 37, édité en 1615.
[30] Livre VIe des Antiquités, XIe tome du Supplément, planche XLIVe.
[31] Ce pourrait bien être un bâton augural.
[32] Antiquités du Père Montfaucon, livre VIe, tome IIe, planche XLVe.
[33] Pour se convaincre que les Chats peuvent avoir de vraies relations avec les grâces et la beauté, sans aller chercher des autorités en Égypte, n’avons-nous pas à Paris une personne infiniment aimable, à laquelle on a donné le surnom de la Princesse Miaou. Je ne sais point d’ennemie des Chats si déclarée, qui ne se tînt très heureuse de lui ressembler.
[34] On ne découvre point dans Plutarque qui rapporte ce serment, par quelles raisons il était en usage chez les Égyptiens. Que pouvait être le nombre de trente-six à la tendresse d’un amant ! La préférence donnée à ce nombre sur tous les autres ne venait-elle point de ce que trente-six a un plus grand nombre de diviseurs que les nombres qui le précèdent, excepté celui de 24 qui lui est égal à cet égard ; mais qui lui cède pourtant en ce que 36 a un carré, et que 24 n’en a point.
[35] Plutarque, en Isis et Osiris. Ces Prêtres menaient une vie extrêmement austère, l’usage du vin leur était interdit ; ils n’en offraient point à leurs Dieux ; ils regardaient cette liqueur comme formée du sang des Géants qui avaient fait la guerre aux Dieux, lequel ayant humecté la terre, avait produit la Vigne. Plutarque, id.
[36] Espèce de Roseau, dont on faisait le papier en Égypte ; on se servait de ce papier dans tout le monde connu, avant l’invention du papier de chiffon. Les Rois d’Égypte étaient fort jaloux de ce Secret, et les Égyptiens faisaient seuls ce commerce.
[37] In Dea Sir. Luci.
[38] Euterpe, chap. XXXVIIe. Hérodote.
[39] Voyez le IIe tome de la IIe partie des Antiquités du Père Montfaucon.
Voyez aussi les Mémoires de M. de Sallengre, sur la Dissertation de M. Terrin de l’Académie d’Arles, concernant le Dieu Pet, p. 18.
[40] Dans l’Égypte jadis toute bête était Dieu ;
Tant l’homme au contraire était bête ;
Tel animal ailleurs qui n’a ni feu ni lieu,
Avait là son Temple et sa Fête.
On avait fait un jour dans le Temple du Chat,
D’un Rat blanc et sans tache un pompeux sacrifice :
Le lendemain c’est le tour du Dieu Rat ;
Il faut pour le rendre propice
Qu’à ses Autels un Chat périsse, etc.
[41] Les Dames Égyptiennes rendaient un hommage bien ridicule au Bœuf Apis : voici comment cette cérémonie est décrite par Amyot d’après Diodore de Sicile. Quand Apis est mort, les Prêtres mènent premièrement le Veau en la Cité du Nil, et le nourrissent par 40 jours, et après le mettent dedans une nef couverte où il y a une loge ou habitacle d’or ; le mènent tout ainsi comme s’il était Dieu, en la Cité de Memphis, et le logent au temple de Vulcain, et au commencement il n’y a que les femmes qui voient le Taureau, lesquelles étant devant lui leurs robes haussées… Le reste est trop indécent pour être ici rapporté. Traduction d’Amyot, livre Ier, p. 55.
[42] Felis… Si quis volens vel invictus occiderit, ad mortem certissime a multitudine concurrentium abreptus, crudelissime interdum etiam absque Judicis sententia plectitur, etc. p. 74, édité en 1604.
[43] Efferuntur autem Feles mortus ad sacra Tecta, ubi sale condite sepeliuntur in urbe Bubasti. Hérodote, livre IIe, chap. LXVIIe.
Bubaste, ancienne ville d’Égypte selon Hérodote ; elle était située sur le bord Oriental de l’embouchure du Nil.
Le grand Prêtre Onias y fit bâtir une forteresse. Joseph, livre VIIe, chap. XXXe, de la Guerre des Juifs.
Cette Ville préférée pour être la sépulture des Chats, était une des plus renommées de l’Égypte. Les Fêtes qui s’y célébraient, étaient à l’honneur de Diane ; des hommes et des femmes quelquefois au nombre de soixante mille s’embarquaient pour s’y rendre ; la navigation se ait au son des flûtes et des cymbales ; les femmes quand on était prêt d’aborder à Bubaste, appelaient par de grands cris les Habitantes, qui accouraient sur le rivage et se mêlaient à leurs danses et à leurs concerts. Ils marchaient ainsi vers le temple où les sacrifices se faisaient avec une extrême magnificence. Hérodote, livre D. Euterpe.
[44] Plutarque.
[45] Orto incendio divinum quidpiam Feles occupat ; Ægypti enim, neglecto incendio, Felibus custodiendis advigilant ; Feles vero aut subeuntes, aut saltu transgressi in ignem sese conjiciunt, quod ubi contingit, ingenti luctu afficiuntur. Hérodote, livre IIe.
[46] Hérodote, livre IIe.
[47] Supercilia radunt. Hérodote.
[48] Τεϑριππα τε ξευγνυδε καὶ μονάμπυκας πωλους, σερήδω τεμνετ᾽ αυχενων φόβην. Alceste, d’Euripide, édition aldi en 1505.
[49] Diodore de Sicile rapporte que de son temps, tel de ceux qui était chargé de l’entretien d’un de ces animaux sacrés, a dépensé pour ses obsèques jusqu’à neuf mille marcs, p. 54.
[50] Adeo autem animis hominum ista erga animalia religio, et tam obstinendum ad venerandum ea quisque affectum gerit, ut etiam que tempore Ptolomeus Rex a Romanis nundum amicus erat renunciatus, et plebs prae metu huc omne studium conferebat, ut ex Italia profectos obsequio se coleret, utque nullam eis criminis aut belli ansam praeberet, Fele tamen a Romano quodam interfecta populi ad ades ejus concursu facto, neque proceres ad deprecandum a Rege missi, neque communis Roma terror hominem pœna eximere voluerit, quamvis citra voluntatem facinus peregisset, id quod non auditu per captum referimus ; sed ipsi in peregrinatione ad Ægyptum vidimus. Diodore de Sicile, p. 74.
[51] Felibus autem friatum in lacte panem cum Poppyssimo, id est emissis quibusdam vocibus, apponunt aut piscium, ex nilo segmentis eos cibant. Diodore de Sicile, p. 74.
[52] Les villes d’Égypte se cotisaient pour la dépense d’un nombre infini de portraits des animaux consacrés qu’on distribuait aux citoyens. Diodore, Hérodote.
[53] Munia vero hac non tantum non declinavit aut propalam obire erubescant, sed contra ac si deos maximis honoribus affecerint et cum propriis signis urbes circumeunt, et cum procul agnoscitur quorum nam animalium curam habeant, ab omnibus flexione genuum, alioque cultu honorantur. Diodore de Sicile, p. 74.
[54] Péluse s’appelait anciennement Avaris, et auparavant Triplion selon Manethon.
[55] Polianus, livre IIIe. Hérodote, livre IIe. Diodore, livre Ier.
Et Prideaux, Hist. des Juifs, tome Ier, livre IIIe, p. 303.
[56] Platon en sa Peinture de l’âge d’or sous Saturne, compte entre les principaux avantages des hommes de lors ; la communication qu’ils avaient avec les Bêtes, desquelles s’instruisant et s’enquérant, ils savaient les vraies qualités de chacune d’elles, par où ils acquéraient une très parfaite intelligence, et conduisaient de bien plus loin plus heureusement leur vie que nous ne saurions faire. Montagne, chap. XIIe, p. 210.
[57] In urbe Nadata apud Arabes Felis aurea colebatur. Pline, livre VIe. chap. XXIXe, de Fele sive catto animali.
[58] Murtadi, Habitant de Tybe ville d’Arabie, selon le Genharime, a fait en 1584 un Traité des merveilles de l’Égypte, traduit en français par Valtier en 1665 ; c’est de ce Traité que cette tradition est extraite.
[59] Cette lettre est intitulée Tradition Ottomane ; c’est l’ombre de Japhet qui parle, interrogée par le Juif Ibesalon.
[60] Ou Medie.
[61] Bibliothèque Orientale, cite Kondemire.
[62] Sethon, Prêtre de Wulcain succéda à Anysis qui était aveugle ; il avait été détrôné au commencement de son règne par un Éthiopien nommé Sabach, lequel dès qu’il fut sur le trône ne montra que les vertus d’un véritable Monarque. Ayant été averti en songe que pour sa sûreté il fallait qu’il rassemblât tous les Prêtres de l’Égypte, et les fit couper en deux par le milieu du corps ; il aima mieux abandonner volontairement la Couronne et retourner en Égypte, que de la conserver par cet acte d’inhumanité. Ce fut après l’abdication de Sabach qu’Anysis qui était remonté au trône, étant mort, Sethon lui succéda. Hérodote.
[63] Il était défendu au Prêtre de Jupiter, appelé le Flamen Dial, non seulement d’avoir aucun Chien dans sa maison, mais encore d’en prononcer le nom, parce que, dit Plutarque, le Chien est de sa nature un animal âpre et querelleur. Livre des Demandes des Choses Romaines.
[64] Les Grecs en leurs Sacrifices de Purification observaient d’en écarter les Chiens, ce qu’ils appelaient Perycylacisines. Plutarque en Romulus, p. 37, traduction d’Amyot.
[65] Dans le Château d’Athènes, parce qu’il y avait un temple à Diane et dans l’Île de Delos qui lui était consacré, on ne souffrait aucuns Chiens, à cause de l’indécence avec laquelle ils s’accouplent en public. Plutarque, Livre des propos de table.
[66] Les Chats sont si heureusement organisés pour la Musique, qu’ils sont encore l’âme d’un Concert, même après leur mort. Le Violon est le plus agréable de tous les Instruments ; la Chanterelle est la Corde du Violon la plus sonore et la plus touchante, et les bonnes Chanterelles sont de Boyaux de Chat.
[67] Louis XI demanda un jour à l’Abbé de Baigne, homme de grand esprit et Inventeur de choses nouvelles (quant à instruments musicaux) qui le suivait et était à son service, qu’il leur fit quelque harmonie de Pourceaux, pensant qu’on ne le saurait jamais faire. L’Abbé de Baigne ne s’ébahit, mais lui demanda de l’argent pour ce faire, lequel lui fut incontinent délivré, et fit la chose aussi singulière qu’on avait jamais vue, car d’une grande quantité de Pourceaux de divers âges, qu’il assembla sous une tente ou pavillon couvert de velours, au-devant duquel pavillon y avait une table de bois toute peinte, avec certain nombre de marches ; il fit un long Instrument organique, et ainsi qu’il touchait lesdites marches avec petits Aiguillons qui touchaient les pourceaux, les faisait crier en tel ordre et consonance que le Roi et ceux qui étaient avec lui y prirent plaisir. Bouchet, Annales d’Aquitaine, fol. CLXIVe.
[68] Diodore de Sicile, livre Ier, p. 7.
[69] Monsieur Hauterot.
[70] Ésope entendait le langage des Corbeaux et des Geais. Plutarque, Livre du Banquet des sept Sages.
[71] Alexandrie d’Égypte bâtie par Alexandre lorsqu’il revenait de consulter l’Oracle de Jupiter Ammon, qui lui promit l’Empire de l’Univers en la première année de la cent douzième olympiade ; cette ville était située près du Port de Pharos entre la Mer et un bras du Nil ; les rues étaient disposées si heureusement, qu’au plus grand chaud de l’Été les vents du Nord soufflaient dans toute la ville. Les Ptolémées Rois d’Égypte la choisirent pour leur Capitale ; elle s’était si considérablement accrue, que du temps de Diodore de Sicile elle était estimée la plus grande Ville du monde. Diodore, livre XVIIe, p. 631.
Cette Ville a bien changé de Climats, quoique restée au même lieu. Selon Quintilien et Ammien Marcellin, les délices d’Alexandrie étaient és en proverbe ; aujourd’hui c’est un séjour dangereux, la peste y régnant presque sans cesse. Daper description de l’Afrique, Tévenot, livre Ier, chap. IIe.
Il y a eu plusieurs autres villes bâties sous le nom d’Alexandre, une sur le bord du Tanaïs, Fleuve de la Sarmatie Européenne, une sur le Caucase dans la Trace, etc. Quintus Curtius, livre VIIe. Plutarque en Alexandre Magne. Pline, livre VIe. Ptolémée. Strabon.
Césarée, ville de la Palestine, rebâtie par Hérode le Grand qui la consacra à César-Auguste ; elle fut honorée du nom de Colonie Romaine, pour avoir secouru les troupes de Vespasien contre les Juifs ; on l’appela alors Flavie-Auguste-Césarie, Capitale de la Province de Syrie Palestine. Joseph, livre IVe, chap. IXe, livre XVe, chap. XIIIe et livre XIIIe, chap. XIIIe. Eusèbe, livre Ve. chap. XXIIe.
Césarée, ville de Cappadoce, ainsi appelée à l’honneur de Thybère ; Julien l’Apostat en 362, lui ôta ce nom et lui rendit celui de Masaca qu’elle avait porté précédemment ; l’opinion commune est qu’elle est aujourd’hui appelée Caisar, ou Tisaria. Strabon, livre XIIe. Étienne de Bysance et autres, etc.
Césarée de Philippe, ainsi nommée parce que Philippe fils d’Hérode la fit rebâtir à l’honneur de César Caligula ; on croit qu’elle est appelée aujourd’hui Beline, ou Bolbec ; elle était au pied du Mont Liban. Guillaume de Tyr, livre XIXe. Bellon, livre IIe.
[72] Debreves. Voyages du Levant.
[73] Villamont dans la relation de ses voyages, rapporte toutes les circonstances du Cap Delle Gatte ; mais d’une façon plus détaillée encore. Les Serpents de cette Île, dit-il, sont de couleur blanche et noire, et ont pour le moins sept pieds de longueur, et gros comme la jambe d’un homme ; de manière que difficilement je pouvais croire qu’un Chat fût victorieux d’une si grande bête, et qu’ils eussent l’industrie d’aller à la chasse après eux, et de ne s’en retourner jusqu’à ce que la cloche eût sonné midi, et que sitôt qu’ils avaient dîné ils continuassent leur chasse jusqu’au soir, sinon qu’un Religieux me jura l’avoir vu, ce qui m’a été confirmé par plusieurs personnes qui l’ont vu de même.
[74] Voyage du Levant par M. de Tournefort, de l’Académie des Sciences. Les Chats du Levant, dit-il, dans cette même relation, ne sont pas plus beaux que les nôtres, et ces beaux Chats, couleurs d’ardoise, y sont fort rares. On les y porte de l’Île de Malte ; avouer que ces Chats ne sont pas beaux et qu’ils plaisent infiniment, c’est les louer beaucoup, c’est leur accorder ce qu’on appelle le je ne sais quoi.
Corneille le Brun dans son voyage du Levant rapporte aussi tout le détail des bons traitements qui y sont faits aux Chats. Il n’en fait mention qu’à regret, ainsi il ne peut être soupçonné de les avoir embellis. Le Chat, dit-il, dont les bonnes qualités, s’il en a quelques-unes, ne sont point à comparer à celles du Chien (qui est la plus fidèle de toutes les bêtes) e chez les Turcs pour un animal pur ; aussi font-ils beaucoup de bien à ces animaux qui ont l’honneur d’être leurs domestiques ; au lieu que les pauvres Chiens sont obligés de demeurer dans la rue. Ils les flattent, c’est-à-dire, les Chats ; ils les caressent ; ils les mettent en parade sur leurs Boutiques : comme c’est la coutume à Venise et ailleurs. Corneille le Brun en condamnant le goût général d’une Nation voluptueuse, qui renfermée dans le sein des Familles, ne voulant s’y occuper que d’objets agréables, e la vie avec les Chats ; ce Voyageur, dis-je, établit une vérité bien importante à la gloire de ces Chats qu’il dédaigne. Les plus grands éloges sont ceux qu’on arrache à ses ennemis. On voit que cet homme qui s’est attiré de l’estime, à quelques autres égards, ne s’est pas du moins formé le goût dans ses voyages ; il part avec la haine des Chats, il revient avec ce préjugé injuste.
Rarement à courir le monde, on devient plus homme de bien.
[75] M. de Tournefort. Idem.
[76] L’Hégire, époque de la fuite de Mahomet lorsqu’il alla se réfugier à Médine, alors nommée Yatreb, ville au Nord de Hagiaz, et distante de la Mecque de deux cent soixante et dix mille. Cette fuite est l’Ère des Mahométans ; elle commença le 16 Juillet 622 de notre Ère sous le règne de l’Empereur Héraclius ; ce fut Omar troisième Empereur des Sarrasins qui fit la première Loi de dater de cette Époque. Le jour que Mahomet quitta la Mecque fut le premier du premier Rabia ; mais il n’arriva à Médine que le 12 de ce mois qui répond à notre 24 septembre. L’Hégire cependant a été censée avoir commencé deux mois plutôt ; savoir du premier de Mohartam, parce que celui-ci étant le premier mois de l’année Arabe, Omar n’y voulut rien changer, se contentant d’anticiper cinquante-neuf jours, afin que le commencement de l’Ère vulgaire s’accordât avec celui de la nouvelle. Avant cette période de l’Hégire, les Arabes comptaient ordinairement depuis la plus récente ou la plus longue guerre qu’ils avaient eue. Prideaux, Vie de Mahomet. Le Père Petau.
La ville de Médine en perdant le nom d’Yatreb, fut d’abord appelée Medinatol-nabi, c’est-à-dire la ville du Prophète, et depuis par abréviation, Médine.
[77] Prideaux, Vie de Mahomet. p. 227 et 228. Il rapporte pour autorité Elmacin et Bochart.
[78] Socrate regardait comme le premier effet de la prudence d’un père de donner de beaux noms à ses enfants. Montagne a dit à ce sujet : Un Gentilhomme mien voisin estimant les commodités du vieux temps, n’oubliait pas de mettre en compte la fierté et la magnificence des noms de la Noblesse de ce temps-là, Dom Grumedan, Quadragan, Argesilan, et qu’à les ouïr seulement sonner, il se sentait qu’ils avaient été bien autres gens que Pierre, Guilot et Michel, p. 472, livre Ier.
[79] C’est dans le chapitre de la Table que Mahomet déclare les Cochons des animaux impurs.
[80] C’est un ministre de la religion.
[81] Les mulets, les jumarts et autres.
[82] M. Freret de l’Académie des Belles Lettres.
[83] Les Brahmanes tiennent le premier rang dans l’Inde, ils sont dépositaires de la Philosophie et de la Religion.
[84] Les Pénitents sont dans la Mythologie des Indiens ce qu’étaient les Héros à l’égard des Dieux des Grecs ; ces Pénitents, quoique mortels, disputent quelquefois de puissance avec ces Dieux. Voyez les Lettres du Père du Hald. Delon. L’Histoire des Brahmines et autres.
[85] Les Indiens imaginent plusieurs Cieux où l’on jouit de différents degrés de volupté, selon les vertus qu’on a pratiqué dans ce monde.
[86] Cybèle chez les Grecs et chez les Romains eut des Prêtres qui se consacraient à ses mystères en renonçant à leur Sexe ; on les appelait Galles. Le jour de leur Initiation, dès que le son des flûtes commençait à se faire entendre, plusieurs des Assistants se sentaient saisis de fureur ; alors le jeune homme qui devait être initié jetait ses habits, et faisant de grands cris tirait un glaive et achevait lui-même le déshonneur de sa personne ; sacrifice qui lui attirait de grands éloges. Il était conduit en triomphe par toute la ville, portant entre ses mains les marques de sa mutilation. Fastes d’Ovide. Lucien. Plutarque.
[87] Mon âme dolente
Toutes les nuits est pour vous miaulante.
[88] M. de La Fontaine, le Lion amoureux. Fable à Mademoiselle de Sévigné.
[89] L’attachement de Psyché pour son amant, n’était pas si désintéressé que celui de notre Chatte pour le sien ; tous ses regrets ne tombent pas sur le cœur de cet amant lorsqu’elle dit :
Encor si j’ignorais la moitié de tes charmes !
Mais je les ai tous vu, j’ai vu toutes les armes
Qui te rendent vainqueur.
La Fontaine, Amour de Psyché.
[90] Pline entre dans des détails très curieux sur la conduite des Chats dans leurs amours ; Feles, dit-il, mare stante fœminæ subjacente coëunt.
[91] Ex Felibus mas est libidinosissimus, fœmina vero prolis amantissima, qua ideo maris coïtum refugit, quod is calidissimum ignique simile semen emittat, ita et fœmina genitales partes comburat, etc. Elian, livre VIe, chap. XXVIIe.
[92] Feles, etc. sunt porre fœmina ipsa natura libidinosa et salaces ; itaque mares ad coïtum ipsa alliciunt, invitant, cogunt, puniunt, etiam nisi pareant. De Mirabilib, tome Ier, p. 1166.
[93] Quelles peuvent être les sources de l’ascendant que les Proverbes ont sur les esprits ? Nous recevons nos idées ou par le secours des sens, ou par la réflexion ; celles que nous tenons de la sensation, comme le froid et le chaud, sont à la portée de tous les esprits ; mais les idées que nous devons à la réflexion, étant elles-mêmes un assemblage d’idées, telle que l’idée de ce qu’on appelle douter, apercevoir, connaître ; celles de cette espèce, dis-je, ne frappent et n’intéressent que ceux qui sont accoutumés à faire usage de leur esprit. Pythagore veut établir combien il est dangereux de renouveler des troubles assoupis, et d’attaquer le repos de ceux qui peuvent se venger. Il ne faut point, dit-il, attirer le feu avec l’épée. Afranius a-t-il à dépeindre la prudence ? Il s’explique ainsi : Je suis fille de l’Usage qui m’engendra dans la mémoire ma mère. Amyot dans sa Préface de Plutarque traduit cette définition par ces deux vers :
Prudence suis, Usage est le mien père,
Qui m’engendra en Mémoire ma mère.
Ces deux maximes tombent en pure perte pour la société. Il faut être capable d’une certaine méditation pour apercevoir l’ensemble des idées qui les composent, pour en embrasser tout le sens ; elles ne feront point d’impression sur le commun des hommes ; mais que Pythagore et Afranius eussent exposé leur définition revêtue de ces idées simples qui sont à la portée de tous les esprits ; que l’un eût dit : Il ne faut point réveiller le Chat qui dort ; et l’autre, Chat échaudé craint l’eau froide. Voilà deux maximes de morale peintes avec un caractère de simplicité également imposant pour tous les esprits.
[94] Veut-on éviter les pièges de l’amour-propre qui nous cache jusqu’à nos défauts personnels, on n’a qu’à méditer souvent ce proverbe : Il ressemble à Chat brûlé, il vaut mieux qu’il ne se prise. Le grand exemple d’activité qu’on puisse se proposer, C’est d’être debout avant que les Chats soient chauffés. Les Magistrats n’oublient jamais combien leur présence est nécessaire pour contenir la licence du peuple, lorsqu’ils ont appris que les Rats se promènent à l’aise, là où il n’y a point de Chats. Extrait des illustres proverbes nouveaux et historiques, expliqués par diverses questions curieuses et morales qui peuvent servir à toute sorte de personnes pour se divertir dans les compagnies. Tome IIe, p. 30 et 196. Imprimé en 1665.
[95] J’appelle un Chat un Chat, et Rolet un Fripon. Despreaux, Satires. Il va vous jeter le Chat aux jambes, et autres. Mais il faut remarquer que dans ces façons de parler, les Chats ne sont impliqués que d’une façon indirecte, au lieu que les autres animaux sont exposés souvent dans les proverbes, simplement et spécialement. On ne saurait être plus fripon qu’une Chouette, plus triste qu’un Hibou, plus cruel qu’un Tigre. Est-on avare ? On l’est comme un Chien. Quel est le plus mauvais souper du monde ? Un souper de Chien. C’est être un Chien que de faire une noirceur à sa Maîtresse. Que fait-on quand on est la plus malheureuse personne du monde ? On enrage comme un Chien. Ces furieux qui vont vomissant des injures contre le prochain, et qui ne portent point coup : Ce sont des Chiens qui aboient à la Lune. Dans la lecture des Ouvrages qui déplaisent, comme celui-ci peut être ; comment s’ennuie-t-on ? Comme un Chien. Achille, furieux contre Agamemnon, dans l’Iliade, n’imagine point d’outrage plus sensible que de l’appeler Visage de Chien.
On nomme communément Rominagrobis ces gros Chats qui ont fait succéder au badinage de leur enfance un maintien grave et mesuré. Cette dénomination sert encore à caractériser les hommes qui affectent un dehors sérieux et comé. Une des plus heureuses applications de cette façon de parler, se trouve dans une comédie intitulée Mélusine. Comédie du nouveau théâtre italien, représentée avec beaucoup de succès en 1718 ; elle est de M. Fuselier. II s’agit de la différence de l’amour à l’Hymen ; c’est Trivelin qui parle : L’Amour, dit-il, est un petit Chaton, enjoué, caressant ; mais l’Hymen : Oh ! oh ! c’est un Rominagrobis.
Rominagrobis est un composé de Raoul, d’Hermine, et de Grobis, ce qui signifie proprement, Un Chat qui fait le gros Monsieur sous sa robe d’Hermine. Remarques sur Rabelais, livre IIIe, chap. XXIe, p. 115.
[96] Si le poids d’un corps hétérogène plongé dans l’eau est plus grand que celui d’un volume d’eau égal, et que son centre de gravité ait été mis en haut ; non seulement ce corps doit s’enfoncer dans le liquide, mais il doit faire un demi-tour en s’enfonçant, parce qu’il faut que son centre de gravité descende le plus bas qu’il est possible ; après quoi le corps continue de s’enfoncer, mais sans tournoyer davantage ; le tournoiement se fait sur un point qui n’est pas également éloigné des centres de gravité et de figure, parce que les deux forces qui y sont appliquées sont inégales. De là vient que les Chats, etc. Extrait de la Dissertation de M. Parent, Mémoires de l’Académie des Sciences, année 1700, p. 156.
[97] Quod autem ab omni tetro odore Feles abhorreant, eo excrementa sua fossa prius facta in terra occultant. Elian. livre VIIe, chap. XLe. Excrementa sua effossa obrunt terra. Pline, livre XIe, chap. LXXIIIe.
[98] Dubelay a bien poétiquement rendu le sentiment des Anciens sur la propreté des Chats ; c’est dans l’épitaphe de son Chat qui s’appelait Bélaud.
Bélaud la gentille bête,
Si de quelque acte moins qu’honnête
Contraint, possible il eût été,
Avait bien cette honnêteté
De cacher dessous de la cendre
Ce qu’il était contraint de rendre.
[99] Madame la Duchesse du Maine.
[100] C’est dans une lettre que Madame Deshouillières ne balance point à déclarer à son mari, que malgré son absence, c’est son attachement pour Grisette, son irable Chatte, qui l’occupe toute entière. Voici les fragments de cette lettre ; elle est en couplets de Chansons. Madame Deshouillières a conté d’abord la perte qu’elle a faite d’un de ses chevaux.
Sur l’air, La jeune Iris sans cesse me suit.
Être à pied n’est pas le seul chagrin
Qui fait ma mélancolie ;
Je dors à peu près comme un lutin,
Je m’alarme, je m’oublie ;
Et s’il faut vous l’avouer enfin,
J’aime jusqu’à la folie.
Sur l’air de la Gaillarde.
Revenez de l’étonnement,
Où vous a dû mettre ce compliment :
J’aime, il est vrai ; mais Dieu merci
Une Chatte fait mon souci.
Sur l’air, Si l’Amour était ivrogne.
De mon aimable Grisette,
Le nom est déjà connu ;
Elle me rend inquiète
Plus que je n’aurais voulu ;
Croyez-en la chansonnette,
Qui par le monde a couru.
Sur l’air, Quand le péril est agréable.
Deshouillière est toujours ingrate,
Pour ceux que ses beaux yeux ont pris ;
Et son cœur comme une souris,
Est pris par une Chatte.
Sur l’air des Feuillentines.
Voilà ce qu’un bel esprit
Par dépit
Composa près de mon lit ;
En voyant ma Chatte grise,
Se rouler sur ma chemise.
Après quelques couplets sur les nouvelles du jour, Madame Deshouillières pour donner à la fin de sa lettre une tournure piquante, ajoute :
Fait à ma Toilette,
Le septième juin,
Partageant avec Grisette,
Et mon papier et mon soin.
[101] Cet Ouvrage n’est point dans le Recueil de ceux de Scarron ; il se trouve dans un Recueil de Gazettes en vers.
[102] Monsieur de Colbert.
[103] Ci gît une Chatte jolie :
Sa Maîtresse qui n’aima rien,
L’aima jusques à la folie ;
Pourquoi le dire ? on le voit bien.
L’exemple de Madame de Lesdiguières n’est point du tout une singularité ; on trouve communément des personnes qui font leurs délices de leur Chat ; ce sont ordinairement celles qui ont une âme délicate et des ions douces ; ce n’est pas que le goût des Chats ne puisse subsister dans un cœur où règnent encore les ions tumultueuses ; mais il est plus ordinairement le partage de ceux qui mènent une vie plus voluptueuse qu’agitée.
Quelquefois l’attachement pour les Chats est porté à l’extrême. Cette automne dernière dans un petit village appelé y, et situé sur la route d’Évreux, une dame qui venait à Paris avec un grand cortège arriva fort tard à une très médiocre Hôtellerie : son premier soin avant de descendre de carrosse fut de demander s’il y avait un Chat dans la maison ; on lui dit que non ; mais d’ailleurs on lui promit des merveilles ; elle répondit qu’il lui fallait un Chat, et que sans cela elle ne pouvait s’arrêter ; on alla d’abord réveiller tout le village, et on lui apporta enfin la Chatte du Curé ; dès qu’elle la tint dans ses bras, elle entra dans l’Hôtellerie et se crut dans le Palais de Psyché. Elle avoua que lorsqu’elle ait la nuit dans un appartement où il n’y avait point de Chat, il lui prenait des vapeurs inables. Le sien était tombé malade lorsqu’elle était partie ; elle était réduite à en emprunter un à chaque séjour qu’elle faisait, et lorsqu’elle n’en trouvait point elle ait la nuit dans la campagne.
[104] Madame la Duchesse du Maine.
[105] Chat de Catus, les Gloses d’Isidore Murilegus Catus. Le Lexicon de Cirille αιλουρος. Le Lexicon ancien, grec, latin καττα, Catta. Le Scholiaste de Callimaque sur l’Hymne de Cerès, αιλουρον ιδιωτικως Καττον.
Le latin Catus a été fait du grec κατις qui signifie vivera, pour lequel Homère a dit κτις par contradiction. En celtique Cat ou Cas, selon Pezrou, c’est de ce Cat celtique que nous avons fait Chat, comme charbon de Carbo, et chambre de Camera. Ménage, Dictionnaire Étymologique, Lettre C. En Arabe, Hareira. Voyez la Vie de Mahomet, par Prideaux. En Italien, Gatto. En Espagnol, Gato. En Holandais, Kater ou Kat. En Allemand, Cats. En Maldivois, Boulan. Voyez les voyages de Peyrard de Laval dans le Dictionnaire de la Langue Maldivoise.
Il y a quantité de Plantes, d’Instruments de Mécanique, dont le nom propre est dérivé du mot de Chat, par quelques relations, sans doute, dont la tradition s’est perdue ; mais il faut remarquer que ces noms ne sont donnés qu’à des choses agréables ou utiles. On appelle Chatton une monture de Bague. On donne le même nom à la partie de la Tulipe, qui enferme la graine de la Tulipe. Chatte, en termes de marine, est une barque de 60 tonneaux. Chatte, espèce de concombres qui se trouvent en différents endroits de l’Égypte, très agréables au goût, et bons contre la fièvre. Payer en Chats et en Rats, ce qui caractérise un mauvais payeur, n’a nul rapport avec les Chats ; anciennement Chas voulait dire une maison, et Ras signifiait un champ ; c’était donner au lieu d’argent des héritages bâtis et non bâtis. Dictionnaire de Trévoux. Chat : ainsi s’appellent certains vaisseaux du Nord à cul rond, qui n’ont qu’un pont qui porte des mâts de hune, sans avoir de hune ni de barre de hune.
Chat, en termes d’artillerie, est un morceau de fer qui sert à gratter le dedans d’une pièce de canon, pour voir s’il ne s’y trouve point de chambre. Chaters, c’est le nom qu’on donne en Perse aux coureurs. Tavernier. Ce mot ne peut être dérivé que du mot Hébreu Chatoul. Chat levant, ou Chat prenant, termes de coutume. Ces mots signifient une clause qu’on mettait autrefois dans le Pays Messin ; par cette clause on donnait pouvoir à ceux qui prenaient des fonds à mort gage, d’en percevoir les fruits.
[106] Le Chat aux doigts crochus,
Est un des animaux qui m’alarme le plus ;
Je crains du piège encore les trompeuses amorces ;
Mais surtout du Matou je redoute les forces :
Mes plus grands ennemis, ce sont ces fins matois,
Qui viennent nous chercher jusques dessous nos toits.
Traduction de la Batrac. par M. Boivin.
[107] Feles quidem quo silentio quam levibus vestigiis abrepunt avibus. Pline, livre XIe, chap. LXXIIIe.
[108] Montagne rapporte par iration un événement é sous ses yeux, par le récit duquel on voit qu’il reconnaît dans les Chats des qualités surprenantes ; voici ses propres mots : On vit dernièrement chez moi un Chat guettant un oiseau au haut d’un arbre, et s’étant fiché la vue ferme l’un contre l’autre quelque temps, l’oiseau s’est laissé choir comme mort entre les pattes du Chat, ou enivré par sa propre imagination, ou attiré par quelque force attractive du Chat.
[109] Felis contra lethiferos Aspidum morsus et alia Serpentum genera qua nocent, utiles. Est. Diodore de Sicile, p. 74. Au Midi de la Région des Marmarides, qui est un désert, il y avait des serpents appelés Cerastes, desquels la morsure était extrêmement venimeuse ; ils étaient d’autant plus dangereux, qu’étant de la couleur du sable on marchait dessus, faute de les apercevoir. Anciennement ces bêtes èrent en Égypte où elles rendirent plusieurs pays déserts. Diodore de Sicile, livre IIIe. p. 132.
L’Île Ophiade qui est située dans la Mer Rouge, fut longtemps déserte à cause de la multitude de Serpents qui y habitaient. Diodore rapporte qu’elle en fut délivrée par les secours des Rois d’Égypte.
Ce secours était sans doute une armée de Chats qui y fut envoyée ; mais l’Histoire fait presque toujours honneur aux Monarques, seulement des grands événements qui se sont és sous leur règne.
[110] Les Personnages sont : Grisette, Chatte de Madame Deshouillières. Mimy, Chat de Mademoiselle Deshouillières, amant de Grisette. Marmuse, Chat de Madame Deshouillières, confident de Mimy. Cafar, Chat des Minimes de Chaillot, Député des Chats du Village. Troupe de Chats du voisinage. Voyez ce poème à la fin des poésies rapportées dans ce volume.
[111] Nous avons à Paris un célèbre tableau d’histoire, qui sera un monument éternel de la dextérité des Chats. On découvre d’abord aux pieds d’un superbe Bâtiment une Chatte et un Chat en rendez-vous, et sur le coin d’une corniche, on aperçoit un Chat à demi caché, tenant un pistolet pointé sur le Chat qui lui enlève sa Maîtresse. Cette aventure représentée allégoriquement comme elle l’est, coûtera peut-être des volumes entiers de dissertations aux Savants des siècles à venir. Le simple de l’Histoire est que le Chat qu’on voit sur la corniche ayant surpris sa Maîtresse avec son rival, il se lança sur lui du haut de la gouttière, avec tant de justesse et de force, qu’il l’écrasa de sa chute.
[112] Il se e à ce sujet à Mets tous les ans, une cérémonie qui est bien à la honte de l’esprit : les Magistrats viennent gravement dans la Place publique exposer des Chats dans une cage placée au-dessus d’un Bûcher, auquel on met le feu avec un grand appareil, et le Peuple aux cris affreux que font ces pauvres Bêtes, croit faire souffrir encore une vieille Sorcière qu’on prétend s’être autrefois métamorphosée en Chat, lorsqu’on allait la brûler. Les Chats sont bien malheureux d’avoir eu la préférence dans la prétendue métamorphose de la Vieille. Il était si naturel de l’imaginer changée en Dragon.
M. Locke a bien raison de dire qu’il y a de certaines frayeurs qui déshonorent notre entendement. Rien est-il si ridicule que l’aventure de ce Mathématicien ? (Il s’appelait M. Drouin, et logeait à Paris chez M. de Tréville) qui s’imaginant un jour que son Chat avait parlé, pensa en mourir de peur. Tandis qu’il travaillait, remarquant que ce Chat tenait ses yeux fixés sur lui, il dit : Tu me regardes bien attentivement ; à quoi il prétend que le Chat avait répondu : Eh ! pourquoi non. Le Mathématicien enivré sans doute de la fatigue de son travail, avait pris un Miaou pour un Pourquoi non.
[113] Vigenère qui a recueilli à cet égard les opinions des Anciens, en expliquant le symbole du Chat à face humaine, posé sur le Sistre Égyptien, s’exprime en ces termes : Au regard de la face humaine, cela ne veut dire autre chose, sinon que cet animal a considération et notice des changements qui adviennent par chacun jour au globe de la Lune. Cardan a soutenu au contraire que ces variétés dans la prunelle de leurs yeux, qui grandissent et diminuent, venaient uniquement de leur volonté. D’autres ont cru que l’approche ou l’éloignement du Soleil influait aussi sur eux, observant que le matin ils se tenaient étendus, à midi ramassés en peloton, et le soir frappés d’engourdissement et de nonchalance. Jonston.
M. Boyle, de la Société Royale de Londres, dans le Livre qui a pour titre : A disquisition about the final causes of natural things, etc. c’est-à-dire, Dissertation touchant les causes finales des choses naturelles, prétend que les Chats ont la prunelle longue et située perpendiculairement ; la raison de cela, ajoute un de ses amis, savant dans l’Optique, est que comme les Chats, dont la marche ordinaire est de grimper aux murailles pour attraper les Souris et les Rats, dont ils vivent, peuvent les observer par la situation perpendiculaire de leur prunelle, plus aisément que si elle était transversale, comme celle des Chevaux, des Bœufs, ou autrement.
[114] Le Poète Ronsard porte bien plus loin ses idées sur les connaissances qu’il accorde aux Chats ; il ne balance point à les mettre, pour ainsi dire, au rang des Sibylles ; c’est peut-être le seul endroit de ses Poésies digne d’éloge.
Or comme on voit qu’entre les hommes naissent
Augures, Devins…
Aussi voit-on, Prophètes de nos maux,
Et de nos biens, naître des animaux,
Qui le futur par signes nous prédisent ;
Mais par sus tous, l’animal domestique
Le Chat a l’esprit prophétique ;
Et faisaient bien ces vieux Égyptiens,
De l’honorer.
Épître à Rémy Belleau, Poète.
[115] On ne prétend pas que les yeux Pers et les yeux Verts soient les mêmes. Les yeux Pers sont ceux qui sont ordinairement d’un bleu pâle, ou quelquefois de couleur d’eau, et qui varient encore de différentes Nuances dans l’espace d’un jour. Les yeux Verts ne changent point de Nuances quand ils appartiennent aux hommes, mais à l’égard des Chats, les yeux Verts ont ces augmentations et ces dégradations de couleurs qui caractérisent les yeux Pers. Selon Ménage, Pers vient du grec περυος ou περιος, qu’il explique Subniger.
Pallas prise pour l’air, fut nommée par les Égyptiens Glaucopis, c’est-à-dire ayant les yeux de blancheur verdoyante. Diodore de Sicile, livre Ier, p. 5.
[116] Au commencier, la trouvay si doucette,
Que ne cuiday por ly maux endurer ;
Mais si bel œil verd, et riant, et clair,
M’a si sorpris…
[117] Renaud de Coucy blessé au Siège d’Absalon, dans la Croisade de Philippe Auguste et de Richard Roi d’Angleterre, chargea son écuyer de prendre son cœur dès qu’il serait mort, et de le porter à la Dame de Fayel, qui était en Gatinois, et dont il était fort amoureux ; il y joignit une lettre très tendre qu’il signa de son sang en expirant. L’Écuyer de retour en , fut surpris par le Seigneur de Fayel qui avait été fort jaloux de Renaud de Coucy, et qui prenant le cœur de l’amant de sa femme, le fit servir à table et le lui fit manger. Elle mourut de désespoir aussitôt que son mari lui eut révélé cette horrible vengeance.
Fauchet dans ses recherches sur les anciens Poètes, prétend que Renaud de Coucy, tué au Siège d’Absalon en 1191, est le même que Raoul premier Seigneur et Châtelain de Coucy ; des ouvrages duquel il rapporte quelques fragments dans une de ses Chansons, dit Fauchet, Le Seigneur Châtelain se plaint qu’il n’ose déclarer son amour à cause de la gent Mauparliere ; dans une autre, Il souhaite avoir sa Dame nue entre ses bras, avant qu’aller outre-mer, ce qui donne lieu de croire qu’il n’y eut entre sa Dame et lui qu’une liaison de pur sentiment. La mort de cette Dame en peut être regardée comme une preuve certaine ; quand celles qui perdent leur amant ont quelqu’autre circonstance que son cœur à regretter, ce n’est point l’usage que d’en mourir. Une voix secrète et qu’elles ne croient peut-être pas entendre, leur crie qu’elles retrouveront ce qu’elles ont perdu, et cette voix toujours persuasive les attache encore à la vie ; mais quand le bien qu’elles regrettent n’est que cette tendresse mutuelle qui a sa source et sa fin uniquement dans le cœur, rien ne leur annonce que jamais un autre objet puisse leur inspirer cette même ion, et elles meurent faute d’apercevoir un autre moyen de consolation.
Dans ces temps reculés le pays des Amants était une longue perspective ; on n’entrevoyait que de fort loin le bonheur d’être aimé, au-delà on n’apercevait presque rien, ou du moins on n’osait croire ce qu’on n’apercevait que très confusément : aujourd’hui la perspective est extrêmement rapprochée ; on ne s’attache qu’au fond du tableau, et on ne regarde point le reste.
[118] Il y a longtemps que les Chats sont en possession d’avoir de beaux yeux : un de nos anciens Poètes a comparé ceux de son Chat aux Nuances de l’Arc-en-ciel.
Yeux desquels la Prunelle perce,
Imitait la couleur diverse,
Qu’on voit en cet arc pluvieux,
Qui se courbe au travers des Cieux.
Dubellay.
[119] Les Corneilles vivent neuf âges d’homme. Plutarque, chap. des animaux, p. 271, traduction d’Amyot.
Le cerf et le corbeau, la Langarde corneille
Et cet Oiseau doré que Gange voit voler,
Ont le crédit de voir un siècle s’écouler,
Voire deux, voire trois, dont bien je m’émerveille.
Poésies de la Péruse, imprimé en 1573. Sonnet sur la mort du Seigneur Jean de Voyer Comte de Paumy.
[120] Inventa sunt in Hispania plures Cuniculos venandi rationes, hoc vero inter alias, Feles Africas agrestes studiose instituunt, ex ore obligato in foramina immittunt, qui unguibus extrahunt Cuniculos, inventos aut foras expellunt ubi ab astantibus captantur. Strabo, livre IIIe, p. 99, édité en 1587.
[121] Jouston.
[122] Scaliger et plusieurs Voyageurs modernes.
Ces Chats du Malabar volent à la faveur d’une Membrane fort large, laquelle s’étend du pied de derrière au pied de devant ; elle est ramassée et plissée quand ils marchent, et se déploie quand ils veulent voler : les Chats des Philippines ont le même attribut. Voyez l’Écureuil volant qui a été envoyé l’année dernière à M. de Maurepas. Il y a plusieurs autres espèces de Chats dans les Indes ; les uns ont le poil herminé et la queue entrecoupée de bandes noires et blanches, quelques autres ont six pattes. L’auteur de l’état présent des Îles de l’Angleterre, rapporte que dans la Floride joignant la Virginie, il y a des Chats sauvages qui font la guerre aux bêtes fauves ; ils s’élancent sur leur dos, s’y attachent, les domptent et en font leur proie. D’autres Chats Indiens portent leurs petits dans une poche placée à leur côté, et n’en sont pas moins ingambes.
Un ancien Poète Français et Physicien en même temps fait le portrait d’un Chat merveilleux.
Ce rare Chaton que la Nature a fait,
Que de ses propres mains elle-même a parfait,
Que l’on doit irer, ayant (grandes merveilles)
Huit pieds, un chef, un œil, deux queues, quatre oreilles.
Paul Contant, Maître Apothicaire de Poitiers, p. 40, fol. XXXVIIe.
Mais c’est peu que la terre soit semée de ces différentes espèces ; un autre Poète Français a remarqué fort judicieusement que les Mores ont aussi leurs Chats.
Et qui ne voit encore que la Campagne herbue,
N’a nul rare animal dont l’eau ne soit pourvue ;
L’Onde a son Éléphant... son Chat roux en couleur.
Dampiere dans son voyage du tour du monde décrit la forme de cet irable poisson. Le Chat de mer, dit-il, a une moustache qui le caractérise principalement, et ses yeux brillent et étincellent la nuit.
[123] Pietro della Valle ; ce Voyageur qui paraît avoir un grand fond d’esprit, expose dans une lettre qu’il écrit d’Ispahan, qu’en qualité de bon Citoyen il ne croit pouvoir tirer de ses voyages une plus grande utilité, pour Rome sa chère Patrie, que d’y transporter une nouvelle race de Chats ; il déclare qu’il a épousé une belle Asiatique nommée Maani, et qu’il e une vie délicieuse entre son Épouse et ces beaux Chats. Pietro della Valle jouissait d’une grande fortune, il ne marchait dans ses voyages qu’avec un nombreux cortège, laissant partout des marques de son discernement et de sa magnificence. Ces beaux Chats étaient de la Province de Chorasan, située aux confins du Zagathay et de la Tartarie ; elle comprend la Province d’Ariane des Anciens, et une partie du Pays des Parthes et de la Bactriane ; ses principales Villes sont Herat, Nisabur, Sarachas, Turschie, Meruera, etc.
[124] C’est lui qui a fait construire à Londres l’Édifice où se tient la Bourse.
[125] Dictionnaire, article Rosen, sous la remarque C. p. 2485. Édition de Roterdam, 1720.
[126] Les Alains, les Vandales, et les Suèves, amateurs de la liberté, ne connaissent point de symbole plus propre à la représenter que le Chat ; aussi portaient-ils d’or au Chat de fable. Méthode Favyn. Histoire de Navarre, livre Ier, p. 34.
Le Chat, en termes de Blason, se dit Effarouché, lorsqu’il est rampant ; mais lorsqu’il a le train de derrière plus haut que la tête, on l’appelle Hérissonné. Felis efferata, Felis arrecta.
[127] Cet agrément du commerce des Chats devient de jour en jour plus reconnu à Paris ; ils commencent à y trouver communément les mêmes égards qu’on a pour eux dans le Levant ; on ferait une très longue liste de ceux qui y ent une vie délicieuse. Madame la Princesse de Bouillon en a deux qui peuvent assurément voir sans en être jaloux, la condition des plus heureux Chats de l’Asie.
[128] Bibliothèque Orientale.
[129] Feles quidem quo silentio... quam oculto speculatu in Musculos exiliunt. Pline, livre XIe, chap. LXXIIIe.
[130] À quel souci, dit Montagne, en parlant des Chiens, ne nous démettons-nous point pour leur commodité ? Il ne me semble point que les plus abjects serviteurs fassent volontiers pour leurs Maîtres ce que les Princes s’honorent de faire pour ces Bêtes. p. 227, chap. IIe, livre IIe.
[131] Nocturnorum Animalium velut Felium in tenebris fulgent, radiantque oculi. Pline, livre XIe, chap. XXXVIe.
[132] M. Lemery, Traité de Chimie.
[133] Alios audivi se in frictione nigra Felis e dorsa Bellua flammas excutere solitos ; le texte est ainsi, Fortunius luctus de Lucernis, p. 262.